Zanzibar se profile à l’horizon. Notre ferry glisse sur une eau parsemée de boutres aux voiles triangulaires et Dar Es Salam disparait tranquillement derrière nous. Dar Es Salam, Zanzibar, des noms exotiques qui portent notre imagination sur les traces d’un Morgan Stanley “à la recherche du Docteur Livingstone” dans la ville de Stone Town.

Dès les premiers pas, la capitale dévoile une architecture mêlant des influences africaines, européennes et moyen-orientales qui lui confère un charme étrange de bout du monde.


L’influence la plus visible est celle d’Oman dont le Sultan régna ici pendant plus de 160 ans. Il tira fortune de l’île en exportant ses épices dans le monde entier avant d’en faire aussi la plaque tournante du trafic d’esclaves en Afrique de l’Est, allant chercher ses victimes jusqu’au Congo actuel pour les expédier ensuite, via Zanzibar, vers les pays du Golfe Persique et d’Europe. Outre l’architecture, l’héritage Omanais se traduit aussi dans la musique avec le taarab, et surtout dans la religion, avec plus de 98% de la population de confession musulmane contre moins de 30% en Tanzanie continentale. Résultat, l’île est ponctuée des flèches des minarets du haut desquels les muezzins réveillent la population tous les matins à l’aube.

A la manière d’un Stanley juste débarqué du ferry, nous nous lançons “à la recherche de Jack & Lucy”, ce couple de britanniques rencontrés un mois plus tôt en Namibie. On les retrouve dans le labyrinthe des ruelles de la vieille ville de Stone Town pour déjeuner. Ça fait déjà un mois qu’ils sont ici à enseigner l’anglais en tant que volontaires dans une école. Du coup, on a l’impression de retrouver des amis du coin et le repas est l’occasion de partager nos aventures respectives des semaines passées.

Le dessert à peine fini, on prend congé pour filer vers les plages du nord, à Nungwi, où les néo-zélandaises rencontrées dans le train zambo-tanzanien nous attendent de pied ferme pour la Full Moon party ! Le trajet en dala-dala, sorte de minibus local, nous permet d’expérimenter pendant trois heures la vie des sardines en boite, à la différence près que les sardines n’ont pas à porter leurs sacs sur les genoux ; dont elles sont d’ailleurs dépourvues.

A Nungwi, on prend nos quartiers dans une petite hutte au toit en feuilles de bananier et au sol de sable. Au dîner, on recrute Isabelle et Lina, deux allemandes pleines d’énergie avec qui on part pour la plage et le bruit. La bande grossit une fois sur place avec Zebra, un portugais arrangeur musical et globe-trotteur qui a posé ses valises à Zanzibar pour quelques années, son pote Broody, un tanzanien artiste-peintre plein d’humour, ainsi qu’un vieux masaï placide en tenue traditionnelle qui enchaine les verres de Konyagi secs. La rencontre est l’occasion de découvrir ce fameux Konyagi, une sorte de Gin local coupé avec du tonic normalement, que tout le monde sirote allègrement et qui rendra le lendemain de notre allemande Isabelle très compliqué.



Au lendemain d’une nuit bien marrante et arrosée, Isabelle s’extirpe difficilement du banc sur lequel elle est allongée lorsque Jado, un chauffeur de taxi, vient les chercher elle et Lina. C’est l’occasion pour nous de découvrir ce nouveau personnage de la saga zanzibari et d’échanger nos numéros au cas où nous aurions besoin de ses services plus tard.
Jado nous apprend qu’il est un immigrant syrien. Ayant perdu son frère et refusé de se battre dans l’armée de Bachar, il dut quitter le pays sans rien, en laissant sa mère seule. Il opta alors pour l’un des quelques pays hors d’Europe (où il craignait de finir dans des camps pour migrants) accordant des visas aux Syriens. Malheureusement et à sa grande surprise, il se retrouve ici aussi discriminé car considéré comme « riche » de par sa couleur de peau. Il doit ainsi batailler pour joindre les deux bouts que la cupidité de certains locaux, les policiers notamment, éloigne chaque jour un peu plus l’un de l’autre. Mais au moins, comme disait Charles, il lui semble que la misère est moins pénible au soleil.
Pas pressés de notre côté, on se remet de la soirée par une balade sur les belles plages de Nungwi avant de reprendre le dala-dala en direction de Stone Town. Rendez-vous y était pris avec nos amis Jérémy et Laurie, qui nous rejoignent en Tanzanie pour leurs vacances d’été.


En essayant de trouver une chambre plus dans nos cordes budgétaires à côté de l’adresse qu’ils ont réservée, on se retrouve au Malindi guesthouse, un hôtel étrange placé sous le signe du recyclage et de Bachar El-Assad…


Si l’on omet la question politique, l’établissement se révèle d’un rapport qualité-prix imbattable ; et c’est depuis son charmant toit-terrasse que l’on aperçoit Jérémy et Laurie perchés sur celui d’en face. On se retrouve en bas, et quelques heures et un bon restaurant plus tard, tout le monde est au lit pour récupérer de sa journée de voyage.


La semaine qui suit est l’opportunité d’explorer Zanzibar en bande organisée.
Des ruelles étroites de Stone Town à son marché coloré ; des jardins aux épices de l’île à ses lagons cristallins ; des voyages en boutre aux trajets en taxi (avec Jado au volant !) ; de ses plages du nord à celles du sud en passant par l’est et l’ouest… On fait le plein d’expériences magnifiques, de rencontres, d’anecdotes et de souvenirs pour les vieux jours.



D’abord les jardins aux épices qui firent la richesse de l’île. Nous y découvrons, touchons, sentons et goûtons cannelle, vanille, poivre, muscade, cardamone, cumin, curcuma, gingembre en plus des clous de girofle, l’épice phare de l’île.

Puis les eaux turquoise du Blue lagoon ; négociée durement la veille au soir, on profite d’une excursion privée à la journée à bord d’un boutre, qui nous dépose d’abord sur un banc de sable blanc, avant de nous emmener plus loin déjeuner d’une gargantuesque grillade de fruits de mer, et enfin nous ramener au soleil couchant dans le silence exaltant d’une navigation à la voile.




Vient ensuite Jambiani, sur la côte Est, sa superbe plage, ses jardins d’algues et ses kite-surfers. Logés dans une vieille maison au milieu de ce village de pêcheurs on rencontre Vladimir, notre colocataire et propriétaire Ukrainien, qui vit ici depuis quelques années. Il tente tant bien que mal de faire marcher ses affaires dans la construction mais commence à se décourager face aux pots de vin toujours plus gros qu’il lui faut verser pour continuer à opérer. Un individu étrange et attachant, grand amateur de pêche au harpon, qui nous donnera de bonnes astuces pour faire nos courses dans les petites échoppes du village et préparer de bons petits repas. On profite aussi du bel hôtel un peu plus haut sur la route principale, où séjournent Jérémy et Laurie, pour savourer la délicieuse cuisine italienne du restaurant tenu par … un Italien. On se rendra d’ailleurs compte durant notre séjour sur l’île que les Italiens sont omniprésents dans le tourisme local, à la fois tenanciers d’hôtels, restaurateurs et touristes bien sûr. De là à faire le lien entre tous ces investissements et le blanchiment éventuel d’argent de la mafia italienne, il n’y a qu’un pas qu’on saura bien évidemment franchir ; prétexte pour se raconter d’improbables histoires sur tous les patrons au style italien prononcé que l’on croise.




Enfin, nous allons saluer les dauphins, moins inquiétants et plus sympathiques ; ils sont une famille entière à avoir migré vers Zanzibar il y a quelques temps. Devenus résidents d’une plage du sud, ils font le bonheur des touristes comme nous qui peuvent les approcher de près, et des pêcheurs qui ont trouvé une nouvelle source de revenu… à condition que le nombre de touristes et d’embarcations reste raisonnable, sous peine de voir la famille Dauphin s’enfuir pour des eaux plus paisibles.


Après cette semaine bien remplie nous rentrons tous sur Stone Town, Jérémy et Laurie pour prendre l’avion qui les ramène à la maison et nous pour nous installer sur le toit-terrasse du Malindi et continuer la planification du voyage.

Les journées qui suivent sont studieuses et les soirées se partagent entre concerts de taraab, couchers de soleil depuis les terrasses de bars et dîners au restaurant ou chez Jack et Lucy.


Le week-end, on décide de partir tous les quatre à la journée pour observer les singes colobes rouges dans la forêt de Jozany avant de pousser jusqu’à la belle plage de Paje, non loin de Jambiani. Pendant le trajet en dala-dala, le hasard faisant bien les choses, Damien reçoit un message de Florian, un ami de Bristol, lui disant que son frère Quentin est en vacances à Zanzibar au même moment et qu’il l’a prévenu de notre présence. On connait bien Quentin pour l’avoir vu souvent à Bristol lors de visite à son frère, et il ne tarde pas à nous envoyer un message à son tour pour savoir où nous sommes car lui se trouve actuellement à … Paje.



Une bonne surprise qui nous fait passer l’après-midi à la plage avec Jack, Lucy, Quentin, la bonne musique du B4, quelques bières et plein de choses à se raconter. D’ailleurs Quentin nous apprend qu’il est encore en Tanzanie pour deux semaines de vacances et qu’il compte faire l’ascension du Kilimanjaro et un safari au parc du Serengenti, tout comme nous. La discussion va bon train mais le soleil qui descend nous indique qu’il est temps de rentrer sur Stone Town. On achèvera cette super journée chez Jack et Lucy autour d’un bon riz au lait de coco et de délicieux fruits achetés sur le marché.
Le lendemain, on décide de participer au premier festival reggae de l’île qui a pour cadre le vieux fort arabe jouxtant le palais des Sultans en bord de mer.
La matinée est dédiée au nettoyage de la plage avec les équipes du festival et quelques autres volontaires. Le soir tout le monde se retrouve à l’intérieur du fort pour un concert de reggae bien sympa promouvant des artistes tanzaniens, ougandais, kenyans et jamaïcains.
On retrouve notamment Jack, Lucy, Jado et Quentin pour une dernière soirée d’insouciance tropicale à Zanzibar.

Le lendemain tout s’accélère et on décolle de Zanzibar pour Arusha, non loin du Kilimanjaro, pour écrire un nouveau chapitre Tanzanien, un peu comme les Anglais dans « cinq semaines en ballon » de Jules Vernes… mais sans ballon.

