Sur notre liste de choses à faire en Tanzanie, monter au sommet du Kilimanjaro figure en pôle-position, et nous avons même réservé un budget spécial pour cette activité que l’on sait coûteuse.
Lors de notre rencontre à Paje, Quentin nous apprend qu’il a lui aussi le projet de gravir le volcan, mais avec seulement trois semaines de vacances pour le réaliser, il a pris soin de réserver son ascension auprès d’une agence dont il a lu de bons commentaires sur internet, Novi Travel. D’ailleurs, il démarre son ascension en groupe dans deux jours !
Ça nous laisse peu de temps, mais on tente le coup : on contacte Novi Travel dans la soirée pour savoir s’il est possible de s’ajouter à la cordée. Quelques messages WhatsApp et coups de bluff plus tard, on conclut un deal de dernière minute 25% moins cher que le prix initialement facturé à Quentin (qui aura finalement lui aussi droit à une ristourne). Cerise sur le gâteau, on aura même le privilège d’une ascension « privée », c’est-à-dire juste nous trois avec les guides et les porteurs. Sans doute ne veulent-ils pas mettre ensemble pendant une semaine des gens ayant payé 1350€ et des gens ayant payé 1800€ pour la même chose …
L’affaire conclue, nous réservons nos vols pour le lendemain, direction Arusha où l’expédition doit débuter le surlendemain ! C’est la prise de décision la plus rapide qu’il ne nous ait jamais été donnée de faire… depuis, peut-être, celle de partir en tour du monde 🙂
Le lendemain sonne donc la fin anticipée de nos deux semaines de rêve à Zanzibar. Une session shopping avec Quentin, un dernier café avec Jack et Lucy et nous voilà dans la voiture de Jado, direction l’aéroport de Stone Town.

Quentin, censé partir sur un vol à la mi-journée, se retrouve malheureusement retardé de quelques heures au départ de Stone Town avant que son avion ne soit finalement dérouté sur Moshi, à une centaine de kilomètres d’Arusha où est censé nous récupérer l’agence Novi. De notre côté, tout se passe bien et notre vol, opéré par une autre compagnie, décolle à l’heure.
On prend place à bord d’un tout petit coucou de treize places, dont celle du conducteur qui est aussi chef de cabine et steward, et c’est parti pour un vol spectaculaire en basse altitude au-dessus de la Tanzanie. Sous les ailes de l’avion, défilent lacs, rivières et plaines tachetées de villages Massaïs facilement reconnaissables à leur organisation circulaire. A l’approche d’Arusha, le Kilimanjaro a la tête bien enfoncée dans les nuages à l’inverse du Mont Meru qui se dresse, imposant, devant nous.





On retrouve notre guide à l’hôtel pour un briefing sur ce qui nous attend. L’ascension est prévue sur six jours par la voie Marangu, incluant une journée d’acclimatation pour maximiser nos chances de réussite. La voie Marangu, aussi appelée « voie Coca-cola » car très populaire auprès des touristes, est la seule des sept voies à être équipée d’hébergements et sanitaires en dur. Bien que ce soit la plus fréquentée c’est elle que l’on privilégie pour son confort relatif mais aussi pour sa durée (c’est la plus rapide). La combinaison de ces deux éléments la rend un peu plus économique que les autres voies car elle réduit les coûts d’accès au parc (taxe journalière) ainsi que le nombre de porteurs requis (pas besoin de porter de matériel de camping par exemple).
Une fois le briefing terminé, on file préparer nos sacs pour l’ascension. On opte pour la légèreté et boucle un sac pour deux de moins de 10kg, plus facile pour les porteurs. A 21h, on se blottit dans les bras de Morphée afin de tirer le meilleur de cette dernière nuit riche en oxygène.
Le lendemain, l’équipe de Novi Travel nous récupère à Arusha et marque l’arrêt à Moshi pour récupérer les porteurs, le guide, le cuistot et surtout Quentin. On en profite pour retirer l’argent nécessaire au paiement des pourboires en fin d’expédition. Un point à ne surtout pas négliger car, au-delà du salaire de base, les pourboires représentent une part essentielle du revenu des porteurs. Pour certains d’entre-eux, exploités par des agences peu éthiques, le pourboire est tout bonnement leur unique revenu. Heureusement, et nous l’apprendrons de la bouche d’un de nos porteurs, ce n’est pas le cas de Novi Travel.
Avant d’entrée dans le parc, notre guide Deo vérifie notre paquetage et on loue les équipements manquants à une petite cahute qui s’avère être l’égal de Décathlon en Tanzanie tant il y a du choix et que le matériel semble de qualité. Ici, on trouve de tout, de la chaussette de laine, à la veste de ski imperméable en passant par les indispensables : Balaklava, sacs de couchage et gourdes (le gouvernement tanzanien a interdit les bouteilles plastiques dans le parc du Kilimanjaro, +1 pour l’environnement 💪)

Alors qu’on s’acquitte des formalités d’entrée, on rencontre un père et son fils qui finissent à peine leur séjour sur le Kilimanjaro. Ils ont l’air au bout du rouleau… ils ont atteint le sommet mais le récit des souffrances physiques, des maux de têtes et des hallucinations qu’ils ont vécu lors de la montée ne nous met pas en confiance.
Plus positives, on croise un peu plus loin deux américaines qui redescendent elles aussi et nous racontent une bien meilleure expérience. Leur seul mot d’ordre : » Profitez un maximum ! «
Une petite pause photo devant l’entrée de la voie Marangu et nous voilà partis, escortés par Bouriane, notre assistant guide peu loquace. Le rythme est bien lent et entrecoupés de nombreuses pauses-pipi. Les guides conseillent en effet de ne pas monter trop vite et de boire beaucoup d’eau. Nous appliquons surement ces règles un peu trop à la lettre de peur de finir comme les deux français rencontrés plus bas. En tout cas, cela nous laisse le temps d’observer la faune du coin, entre singes colobes à queue blanche et dik-diks, et d’apprécier la jungle traversée sur ce premier tronçon que l’on achève trois heures et 1000 mètres de dénivelé plus tard au camp Mandara hut situé à 2720 mètres d’altitude.

Au camp, on découvre la routine du trek : les porteurs sont déjà là (ils grimpent BIEN plus vite que nous malgré leur chargement) et nous attendent avec une bassine d’eau chaude pour se débarbouiller.

Une fois la face et les fesses propres, on nous propose thé et popcorn en guise d’apéro puis on mange notre premier dîner, simple mais étonnamment bon à cette altitude.

Un dernier thé et on file au dortoir que l’on partage avec un groupe de randonneurs français de Guadeloupe dont l’un, Joël, est paraplégique et monte en chaise à porteurs. L’occasion aussi de rencontrer une deuxième Gisèle (comme si une n’était déjà pas suffisant).

Le lendemain, on est réveillé à 6h30 par Eliya et Joseph, deux des porteurs, qui nous amènent les bassines d’eau chaude pour la toilette de chat matinale. Après un petit déjeuner de champion où l’on s’hydrate de Milo, cette boisson chocolatée à base de malt d’orge que l’on retrouve dans toute l’Afrique, on repart sur les chemins de l’ascension. Il est 8h30.
Le paysage s’éclaircit au fur et à mesure de la montée jusqu’à offrir les premières vues sur les pics Kibo et Mawenzi qui dépassent les 5000 mètres et sont en fait des cratères du volcan éteint. On atteint le deuxième camp, Horombo Hut situé à 3700 mètres d’altitude, vers les 15h après sept bonnes heures de marche. Les effets de l’altitude commencent à se faire ressentir avec un souffle raccourci pour tous et un bon mal de tête pour Damien.






Les groupes aux guides attentifs se verront prendre leur taux d’oxygène et battements cardiaques au dîner pour vérifier que tout va bien. Notre guide Deo ne fait malheureusement pas parti de ceux-là et on se retrouve donc à faire les yeux doux au guide du groupe de Guadeloupéens pour vérifier que tout va bien pour nous. La peur, quelque peu paranoïaque, de se mettre à souffrir du dangereux mal aigu des montagnes semble accompagner tous les randonneurs, nous y compris, dans diverses proportions.
La journée d’acclimatation du lendemain est la bienvenue. Au réveil, tout le monde se porte comme un charme. On marche tranquillement jusqu’à Zebra Rock 500 mètres plus haut, accompagnés de quelques porteurs. C’est l’occasion de faire un bon brin de causette avec eux et de pratiquer notre Swahili. Après quatre heures de marche le matin, l’après-midi est dédiée à la sieste et à la lecture au camp avant de prendre la pause derrière l’objectif une fois la nuit tombée pour immortaliser le ciel qui brille de mille étoiles.




Le quatrième jour marque le dernier jour de marche « relax ». Le souffle s’amenuise à mesure qu’on approche du sommet et la végétation, déjà rase, fait carrément place au désert passé 4000 mètres d’altitude.


En début d’après-midi on atteint le Kibo camp aménagé à 4700 mètres. C’est notre dernière halte avant le sommet. Notre guide Deo, jusque-là pas très présent, joue enfin son rôle de guide et nous briefe alors qu’on s’installe dans les dortoirs sommaires de la Kibo hut. Le programme est simple : dîner à 17h puis au lit presto car avec un début d’ascension à minuit, la nuit s’annonce courte. A quoi doit-on s’attendre pendant l’ascension finale ? Un souffle très court, des maux de têtes et des vomissements, normaux à de telles altitudes; du froid aussi, mais pas de risque de perte d’orteil en perspective car le froid n’est pas mordant ici. Voilà Gisèle rassurée.
Pour le « goûter-dîner », notre cuistot que l’on aime déjà pour tous les bons petits plats qu’il nous a préparé, nous gâte avec une délicieuse plâtrée de pâtes qui fait pâlir tous nos camarades de dortoirs. Repus, on se couche en se promettant d’atteindre le sommet !

La nuit est mauvaise à cause de deux ronfleurs professionnels qui tiendront la moitié du dortoir éveillée.
A minuit, les yeux rouges et la gueule enfarinée, on applique la technique de l’oignon en enfilant plusieurs couches de vêtement, espérant ainsi combattre le froid des cimes. Dehors, il fait nuit noire. Peut-être en est-il mieux ainsi car le chemin qui doit nous emmener au sommet est tellement raide que sa seule vue pendant l’effort augmenterait les chances d’abandon.

On avance les uns derrière les autres, « pole pole », c’est-à-dire « doucement doucement » en Swahili, formant sur la montagne une longue guirlande de frontales. Gisèle est concentrée sur le rythme lent des guides devant elle, alors que Damien et Quentin montrent qu’il leur reste encore du souffle en entonnant « Les neiges du Kilimanjaro ». Sur la montagne, pas de blanc manteau mais plutôt les cendres d’une ancienne éruption qui ralentissent un peu plus la marche.
A 5h du matin, on atteint Gillman’s point à 5685 mètres après une montée qui a semblé interminable. Une rapide pause le temps de se rendre compte que nos gourdes d’eau que l’on a soigneusement enroulées dans des T-shirts, ont gelé, et nous nous remettons en marche, direction Uhuru Peak, LE vrai sommet du Kilimanjaro qui culmine à 5892 mètres et se dresse devant nous en bordure de cratère. Seul un champ de glaces hérissées nous en sépare désormais.
On l’atteint juste à temps pour assister au lever du soleil par-dessus la mer de nuage. Un moment magnifique et magique ! Avec le voile de la nuit qui se lève, on découvre l’immense cratère enneigé de ce géant d’Afrique ainsi que le glacier qui le borde. On oublie bien vite l’effort fourni jusque-là ainsi que le froid et on en prend plein les yeux en repensant au conseil des américaines : en profiter un maximum ! Le répit est cependant de courte durée car après quelques photos pour immortaliser l’exploit, il nous faut vite repartir avant que la glace traversée à l’aller ne fonde sous les caresses du soleil et ne rende le retour périlleux (nous n’avons pas de crampons contrairement à d’autres « alpinistes » du dimanche).



Après l’effort de la montée, on se dit que la descente se fera les doigts dans le nez. C’est sans compter sur le soleil qui, à peine levé, nous darde déjà de ses rayons et nous force à ouvrir en grands nos manteaux et à nous badigeonner de crème solaire alors qu’on ne désire qu’une chose : rentrer au Kibo camp le plus vite possible. La vue sur le camp qui nous nargue 1000 mètres plus bas tout le long de la descente exacerbe la pénibilité de celle-ci et on a l’impression qu’on ne l’atteindra jamais, nos jambes flageolant déjà de l’effort effectué…

Lorsqu’on atteint enfin le camp, Joseph, un des porteurs, nous félicite en nous tendant des jus de fruits salvateurs. Quel plaisir ! On est éreintés, déshydratés et à bout de force, et les jus nous donnent juste assez d’énergie pour… atteindre nos lits.
Aux dortoirs, on croise les gens qui comme nous sont partis en milieu de nuit. Certains n’auront pas atteint le sommet à cause du froid ou d’atroces maux de tête. D’autres, nous dit-on, sont déjà au camp suivant cherchant certainement à imiter ce suisse-équatorien qui gravît le Kilimanjaro en moins de 7 heures.
Une heure de repos clairement insuffisante, un déjeuner rapide et nous voici repartis à 11h30 pour le Horombo camp, 1000 mètres plus bas. La journée qui a débuté à minuit est un vrai roller-coaster : 1100 mètres de dénivelé positif et plus de 3000 mètres de dénivelé négatif. A l’arrivée à Horombo camp, on sent bien nos jambes… ça promet pour la journée du lendemain, dernière journée sur le mythique volcan.


Le matin venu, on est étonnamment frais. Peut-être l’effet de l’altitude sur notre taux de globules rouges ? Comme le veut la pratique, on fournit à chacun des membres de notre équipe, un pourboire que l’on a calculé en fonction du rôle de la personne (porteur, cuistot, assistant guide ou guide) ainsi que des interactions que nous avons eues avec elle. Et puis on repart dévaler les 2000 mètres qui nous séparent du point d’arrivée (le même que le point de départ) en moins de 4h. L’expédition s’achève sur une bonne omelette aux frites tanzaniennes. On dit adieu à notre équipe de choc et on retourne à l’hôtel pour une bonne douche et une nuit de 12 heures bien méritée.



Au réveil, les courbatures sont là et c’est comme des robots que l’on marche jusqu’à la salle du petit-déjeuner. Autour d’un café, on élabore bien vite le plan de la journée : après-midi détente aux sources chaudes de Kikuletwa avant d’aller se gaver de brochettes dans un restaurant à Arusha.


Et puis le mot de la fin pour Joseph : » Poa kinchinzi kama ndizi dana fridji ! » ( » Aussi fou qu’une banane dans le frigidaire » que notre maitrise du Swahili a vite transformé en : » Poa kama mzungu dana Uhuru « : » Aussi fou que des Blancs sur l’Uhuru » ! ).