Trois semaines nous séparent de nos adieux à la Tanzanie et nous choisissons de nous installer pour quelques temps à Arusha. Le temps de réfléchir aux aventures vécues, de les partager et d’en planifier de nouvelles.
On dégotte sur Airbnb une chambre à moins de 10€ la nuit, un peu en retrait de la ville mais aux nombreux commentaires élogieux, parfait pour notre séjour. Sur place on est accueilli par Godwin, un jeune tanzanien qui a eu la super idée d’aménager quelques chambres en annexe de la maison familiale, au sein d’une plantation de bananes. On est ici chez lui, chez ses parents mais aussi chez nous (comme il nous l’indique) et on se sent tout de suite à l’aise.


Au cours des jours qui suivent on est comme des coqs en pâte ! La journée commence avec un petit déjeuner gargantuesque cuisiné par Veronica puis on alterne entre visite de la plantation de bananes familiale (qui compte aussi quelques serres dédiées à la culture de poivrons et un beau potager en libre-service pour les hôtes) ; tri du maïs avec Denis, un des jeunes employés de Godwin ; sarclage des bananiers avec son père, qui s’étonne de la persévérance de Damien ; et visite de la plantation de café de sa tante suivie d’une torréfaction du café maison, celui que l’on boit tous les matins, délicieux !





On découvre que les bananiers sont en fait des herbes, on apprend à reconnaitre manguiers et avocatiers, à distinguer le tarot de la cassava et Godwin nous donne même un petit cours de médecine locale avec les plantes qui poussent sur son terrain.

Le soir, on dîne des légumes et fruits de la ferme (on fait surtout une sacrée cure d’avocat !) et on socialise avec les autres hôtes autour d’un grand feu de bois. L’occasion de faire de belles rencontres telles que Ben et Célina, un jeune couple d’allemands avec qui on accroche bien, remplacé par Felix et Ira, un deuxième couple d’allemands un peu plus matures avec qui on rigole tout autant (et hop, deux nouvelles adresses à visiter en Allemagne !).



La magie (ou l’espionnage ?) de Facebook fait que Gisèle reçoit une notification d’un spectacle de danse traditionnelle organisé dans le coin. Ni une ni deux, on réserve nos places. Le lendemain, on rejoint le centre d’arts culturels de l’université Tumaini où se tient la performance à bord d’un dala-dala au doux nom de « Glory to God ». On ne pouvait pas tomber mieux, l’université se prône « centrée sur le Christ en concentrant tous ses programmes sur les conseils et l’obéissance à la parole de Dieu pour une meilleure éducation » … Pourvu que notre athéisme ne soit pas démasqué !
Le spectacle de danse s’inscrit dans le programme de préservation et de promotion des arts traditionnels que sont la musique, la danse et les chants (ainsi que la confection d’instruments de musique) du centre culturel rattaché à l’université. On est les seuls spectateurs, du coup on assiste au spectacle dans le studio de danse qui offre un cadre plus intime que l’amphithéâtre clairement démesuré. Après la démonstration de trois danses traditionnelles du Nord, Centre et Sud de la Tanzanie, Gisèle est à deux doigts de s’enrôler pour une année d’études au centre !
Est-ce le spectacle de danse ou une réminiscence du Kilimandjaro, toujours est-il que l’on a la plante des pieds qui démange et l’envie de mettre à profit les jours qu’il nous reste pour découvrir plus de la Tanzanie. On s’organise donc un trek de trois jours dans la région du Lushoto dont Jack et Lucy nous ont dit beaucoup de bien, et on embarque au passage Anaëlle et Ranan, un couple d’Israéliens en lune de miel qui restent aussi chez Godwin.
Fort de notre enseignement zambien, on achète nos billets de bus la veille auprès de la compagnie Chakito conseillée par Godwin. De retour à l’auberge, ce dernier prend soin de vérifier nos billets et d’appeler un de ses amis pour confirmer l’heure du bus, soi-disant 6h du matin comme l’indique le billet. Bien lui en a pris car son ami lui apprend qu’il n’y a qu’un seul bus pour Lushoto le lendemain et que celui-ci part à 8h. Cependant, qu’on ne s’en fasse pas, il en sera le contrôleur et il nous assure des places. Ouf ! On en est quitte pour la découverte d’une nouvelle tentative d’arnaque : la vente de billets de bus factices.
Le lendemain, Godwin nous accompagne à l’arrêt de bus. Il sait comment ça se passe, le bus risque d’avoir beaucoup de retard et il ne veut pas qu’on se décourage, remonte au Airbnb et finalement rate le bus… A l’arrêt, on papote entre amis de la politique tanzanienne, l’actuel président (apprécié), la corruption des précédents, la sorcellerie (très présente dans le Sud) ainsi que le pouvoir et la manipulation de la religion et la culture du travail et la religion. Godwin est cultivé, critique et honnête, brillant.
Le bus arrive trois quart d’heure en retard, on fait signe de la main à Godwin par la fenêtre et nous voilà sur la route. En chemin, on longe d’immenses champs de sisal qui servent à confectionner cordes et cheveux artificiels, avant de grimper dans les contreforts des monts Usambara jusqu’à la ville de Lushoto.


Pour le trek, nous avons choisi la compagnie Friends of Usambara, avec qui sont partis Jack et Lucy et dont les actions de reforestation et de sensibilisation des communautés locales à la protection de l’environnement nous ont emballé.
A leurs bureaux, on leur présente deux nouveaux clients, Anaëlle et Ranan qui pensaient partir sans guide mais se sont ravisés, et nous faisons connaissance avec notre guide, Arthur, un jeune d’une vingtaine d’années, bon en anglais, plein de peps et d’humour !

Le trek commence le lendemain, un peu avant 9h, dans la fraicheur du petit jour. La randonnée débute au milieu des cultures et des forêts d’eucalyptus. Arthur nous arrête devant diverses plantes pour nous en apprendre leurs propriétés médicinales. En route, on s’amuse aussi à repérer les caméléons dont la région regorge.





En fin de journée, alors que l’on doit prendre un bus local pour boucler l’étape, impossible de monter dans les dits-bus qui débordent de passagers… on apprend à nos dépends que les conducteurs de dala-dala sont grève et que les gens se sont donc rabattus sur les bus, d’où l’absence de place… on continue donc à marcher jusqu’à ce qu’une voiture envoyée par Friends of Usambara vienne nous récupérer et nous amène au couvent de Rangwi où l’on doit passer la nuit.



On arrive au couvent juste à temps pour assister à la messe chantée. On est les seuls touristes et on se sent vraiment privilégiés. Une bonne douche chaude, un festin de rois, et nous voici déjà à compter les moutons dans une chambre au confort rudimentaire mais efficace.
La journée du lendemain est plus tranquille. On prend un peu de hauteur en traversant plusieurs petits villages où Arthur nous apprend les croyances locales, le rôle du chaman et la médecine traditionnelle à base de sacrifice d’animaux et de danse au son des tambours. Ici les touristes ne font pas légion et nombreux sont les gamins qui nous saluent d’un hello en se fendant la poire.






Juste avant de rejoindre notre hôtel pour la nuit, on s’arrête pour une initiation à la poterie. A notre arrivée, femmes et enfants du village déballent leur création et l’une d’elle nous montre comment faire un pot sans touret ! Ça n’a pas l’air bien compliqué mais quand vient notre tour, on se rend compte que ça demande tout de même un sacré coup de main.


On passe la nuit en hauteur au Mombaga View Hotel qui offre une vue à couper le souffle sur la vallée en contrebas.



Notre troisième et dernier jour de trek commence la tête dans les nuages. Ces derniers, paresseux, nous privent même d’un point de vue ! Compte-tenu du temps maussade, la matinée de marche est écourtée et une voiture nous amène plus bas à l’Irente farm où nous découvrons les fromages et pains locaux. Sur le chemin du retour, on s’arrête à l’Irente viewpoint pour une dernière vue spectaculaire sur la vallée puis on passe saluer la grand-mère d’Arthur qui a 103 ans !

On rejoint notre point de départ vers les 17h, ravis de l’expérience qui s’inscrit parmi les meilleurs moments passés en Tanzanie. Arthur, malgré sa jeunesse, est un guide génial qui connait plein de choses, aime à faire partager les cultures et traditions de la région et dont la vitalité et l’humour sont de véritables pépites.
De retour sur Arusha, on retrouve Godwin dont on fait désormais presque parti de la famille (il nous héberge même gratuitement). Il ne nous reste qu’une semaine et Gisèle en profite pour organiser une deuxième visite avec l’ONG pour laquelle elle est volontaire.
Celle-ci se déroule à la Leguruki High School située à une heure et demie de route d’Arusha. Le directeur, Emmanuel Loi, prend sur son temps de vacances pour nous y amener et nous montrer les locaux. On visite ici un collège-lycée privé dont les quelques 210 élèves viennent des communautés alentour et où au moins la moitié sont internes. On ne sait pas si c’est parce qu’on est en période de vacances scolaires mais l’école a des allures de bâtiments abandonnés. Les vitres des classes sont cassées, le mobilier est entassé dans une seule classe, il n’y a qu’une ampoule sur les quatre par classe qui fonctionne… Lors de la visite des dortoirs, on découvre les conditions de logements des internes et notamment celles des garçons obligés de dormir à deux par matelas, soit quatre par lits superposés.
Une partie du personnel est logée sur place et l’accès à l’électricité, rendue possible par l’installation de l’ONG (en très bon état soi-dit en passant), leur permet d’avoir lumière, télévision et ventilateur. Ces conditions sont meilleures qu’ailleurs et l’école peut ainsi recruter de meilleurs professeurs, qui restent plus longtemps. Et, on l’apprend de la bouche du directeur, les résultats des élèves s’en trouvent grandement améliorés.

A la fin de la visite, le directeur remarque que les femmes du village sont habillées de manière solennelle. Il s’enquiert de la situation et apprend le décès de la mère d’un élève, membre du conseil de l’école, et dont les funérailles sont organisées aujourd’hui. Compte-tenu de sa position, il nous explique qu’il se doit d’être présent à l’enterrement et nous embarque avec lui.
On arrive à la maison de la défunte où tout le village (voir même les villages alentour) semble s’être massé. Du monde arrive encore en marchant alors que l’on se gare. Les femmes portent un tissu sur les épaules assorti à leurs chitengues colorés. Pour se cacher le visage si elles pleurent, nous indique Emmanuel.
Sur place, on attire bien des regards. Nous sommes de complets étrangers et pourtant on nous installe sur l’estrade où officie le prêtre, à côté de gens qui semblent bien plus importants que nous et face à l’assistance.
Le corbillard arrive et le cercueil est placé dans la maison de la défunte où se relaie sa famille, ses enfants et son mari. Nous, on assiste aux cris de douleur depuis notre chaise. Au sortir de la maison, la fille de la défunte geint et chancèle des membres de sa famille la soutiennent et l’aide à marcher. Le veuf sort digne mais la manière dont il tient et mord sa casquette en dit long (Gisèle doit faire de sacrés efforts pour ne pas verser une larme).
Enfin le cercueil sort, il y a de la musique (plutôt entrainante) et le prêtre harangue l’auditoire en swahili. Puis vient le tour de saluer la défunte, les gens sont appelés en groupe et passe un à un devant le cercueil déposant quelques billets dans une urne à la fin. Là on assiste à une surenchère de démonstration de douleur : les femmes hurlent et se jettent à terre, certaines font mine de convulser jusqu’à ce que d’autres personnes viennent leur prendre chevilles et poignets pour les transporter hors du chemin…
Une fois nos adieux faits à la défunte et de retour dans la voiture, Emmanuel nous explique qu’il est traditionnel dans un enterrement Meru de montrer sa douleur jusqu’au paroxysme. Dans son groupe ethnique, Massaï, c’est plutôt le contraire et il ne faut rien laisser transparaitre.
Parti pour une matinée de visite, on a finalement passé une journée entière avec Emmanuel. On est rincés mais on a vécu une expérience proprement unique (même si nous étions assez mal à l’aise). De retour chez Godwin, on se remet de nos émotions avec un barbecue tanzanien. Parmi les nouveaux hôtes, on compte un jeune couple de Nantais dont le gars, Bastien, est boucher. Du coup, on a convaincu Godwin de l’emmener au boucher du village pour qu’il voit la marchandise et la façon de travailler locale. Au menu : brochettes de bœuf et de chèvre marinées par Véronica, plutôt pas mal !

Nous arrivons déjà à la fin du séjour tanzanien et, pour l’occasion, Godwin propose du canard pour le dîner (il est surpris et content d’apprendre que nous mangeons du canard en France). Mais attention, ici, on n’est pas en France et il faut qu’on s’occupe de toutes les étapes ! Christopher, un hôte allemand choisit et attrape le canard ; Damien se charge de l’abattre ; tous de le plumer ; et Bastien, notre boucher français, de le vider et le préparer. On concoctera ensuite une petite marinade au miel des ruches de Godwin et le soir, on ressort le barbecue pour une dégustation tous ensemble. Le canard est un peu raide, il emporte même un bout de dent de Damien avec lui, mais quel bon moment !
Le lendemain, on dit adieu à notre famille d’accueil tanzanienne et on remercie longuement Godwin pour avoir été un hôte extraordinaire. Emmanuel, le principal de l’école, s’est quant à lui gentiment proposé de nous amener à l’aéroport lors de notre visite à l’école. Du coup c’est avec lui qu’on débarque devant les portes de l’aéroport international du Kilimandjaro. Encore quelques au revoir et nous voilà repartis pour de nouvelles aventures.
