Au jeu des sept familles insulaires, nous demandons l’Ile de Pâques, ou Rapa Nui en polynésien.
A plus de 2000 kilomètres de l’île habitée la plus proche (Pitcairn), et 3500 kilomètres des côtes chiliennes, l’Ile de Pâques est bel et bien perdue au milieu de l’Océan Pacifique.
Formée par des éruptions successives, l’île doit son nom à sa découverte par un navigateur néerlandais le 6 Avril 1722, jour de Pâques (même si sa vraie découverte est le fait des extraordinaires navigateurs polynésiens partis des Marquises bien avant…). Des années plus tard, les courants et les vents marins feront que Cook pour les Anglais et Lapérouse pour les Français découvriront l’île à la même période ; et nous ne sommes pas loin de faire de même en débarquant à l’aéroport Mataveri le 2 Avril.

Sur l’île, on loue une tente toute équipée de duvets et tapis de sol au camping Mihinoa, de loin l’hébergement offrant le meilleur rapport qualité-prix. On oublie que notre réservation comprend le transfert gratuit à l’aéroport et c’est donc à pied que l’on s’y rend, l’occasion de découvrir les environs et de voir que le port de colliers et parures de fleurs est ici aussi très présents. Rien d’étonnant en fait, nous sommes géographiquement, et culturellement, toujours en Polynésie.

Au camping, nous sommes accueillis par le chaleureux sourire de Désirée, une tahitienne qui travaille ici avec son cousin.
On papote aussi avec Nathalie et Jonathan, un couple de Français cherchant à louer une voiture. On leur saute un peu dessus en fait car nous avons lu qu’il est plus efficace de visiter l’île en étant motorisé et qu’il est facile de partager les locations. Notre proposition de partage les enchante et rendez-vous est pris de se retrouver le lendemain pour aller louer ensemble notre bolide.
En attendant, on s’installe dans notre tente et on profite du spectacle : de nos tapis de sol, on voit l’écume des vagues du Pacifique qui se brise sur les rochers… on a aussi la bonne surprise d’être parfaitement placés pour regarder le coucher du soleil ! On aura cependant du mal à tenir jusqu’au bout tant la fatigue accumulée pendant le vol Tahiti-Ile de Pâques nous accable.


Au final, on s’endort avant 20h00 et c’est donc frais comme des gardons qu’on se réveille le lendemain. On prend nos marques à Honga Roa, l’unique ville de l’île et rencontre notre premier Moaï, fier gardien du petit port coloré de la ville.

Un tour au musée Rapa Nui, nous permet d’en apprendre plus sur l’origine de l’île, ses premiers habitants et ses mystérieux cultes. On découvre que les Rapa Nui sont des descendants de Polynésiens arrivés sur l’île sous l’égide de Hotu A Matu’a certainement entre 300 et 800 après Jésus Christ. On est impressionnés par les méthodes de navigation et la persévérance de ces familles qui sont arrivées sur ce bout de terre uniquement peuplé d’insectes et d’oiseaux marins dans le but d’y vivre (heureusement qu’ils avaient pris avec eux quelques plantes et poulets pour commencer des cultures).

Nombre de scientifiques se sont frottés aux Moaïs et il semble désormais établi que ces géants à la moue grincheuse rendent hommage aux chefs de clan passés. Chaque chef se faisait en fait sculpter un Moaï dont la taille dépendait des richesses de son clan ou village. A sa mort, le Moaï était érigé dos à l’Océan, pour apporter protection à la tribu. Au total, 887 Moaïs ont été répertoriés sur l’île mais plus de la moitié reste abandonnée à la carrière Rano Raraku ou sur le chemin de leur destination finale. Comment ces géants de pierre ont été déplacés sur des centaines de mètres voire des kilomètres depuis leur carrière d’origine ? Comment ont-ils été dressés droit comme des i alors qu’ils pèsent des tonnes ? Et pourquoi leur culte a-t-il été abandonné ? Autant de questions, dont les nombreuses réponses restent bien hypothétiques.
C’est avec toutes ces questions en tête qu’on retrouve Nathalie et Jonathan au loueur de voitures pour prendre possession de notre Jimny, le modèle phare de l’île. On l’étrenne le soir-même en allant assister au coucher de soleil sur les Moaïs de Ahu Tahai, à deux pas de la ville. Le site invite à la contemplation et le coucher de soleil, magnifié par de lourds nuages, se classe directement parmi les plus beaux qu’il nous ait été donné de voir jusque-là.

Le crépuscule fait place à l’aube et nous partons dans le petit matin à bord de notre Jimny, direction le site Ahu Tongariki.
Les 15 Moaïs dressés comme autant de frères Dalton dos à la mer offrent déjà un spectacle unique. On s’installe afin d’avoir une vue dégagée, en faisant attention à ne pas gêner les nombreux touristes déjà présents, et c’est parti ! Le site est reconnu pour ces levers de soleil grandioses quand la météo s’y prête… on n’est pas déçu.

Les nuages défilent au-dessus des imposantes figures tandis que le ciel passe du bleu de la nuit au rose et orange de l’aube. Puis les premiers rayons de soleil apparaissent derrière les placides géants. L’instant est magique. On se sent minuscule, observés par des siècles d’Histoire, et l’esprit dérive à imaginer les cérémonies mystiques qui devaient se tenir ici.

Le jour levé n’enlève rien à la splendeur du site et on s’imprègne encore plus de la solennité du lieu une fois le gros des touristes parti.

Avec seulement une vingtaine de Moaïs observée sur plus de 800, nous avons encore du boulot. Nous nous rendons donc à la fameuse carrière du volcan Rano Raraku, berceau des mythiques statues.

Encore un site exceptionnel… Comme figés dans le temps, 397 Moaïs à différents stades d’achèvement peuplent le flanc sud du volcan. On se sent observé, jugé par les colossales têtes qui sortent de terre. Certains moins fortunés gisent face au sol. D’autres demeurent encore attachés à la paroi rocheuse maternelle, le travail des sculpteurs suspendu dans l’éternité. Au loin, Tongariki et le bleu de l’Océan.
L’île recèle aussi d’autres trésors tels que des pétroglyphes, des dessins gravées dans la roche, qui permettent de découvrir la vie de tous les jours des Rapa Nui.

Il y a aussi la côte déchiquetée, ses baies volcaniques et ses plages peu nombreuses.

La plage d’Ovahe s’avère parfaite pour la pause déjeuner. Peu fréquentée car non propice à la baignade du fait de forts courants, elle offre un refuge au calme face au Pacifique.

Nos sandwichs engloutis c’est vers la plage d’Aneka qu’on se dirige quelques kilomètres plus loin pour une baignade au bout du monde. Ce serait ici qu’auraient débarqués les premiers habitants de l’île et la plage est veillée par 7 Moaïs en hommage à ces ancêtres explorateurs.

Sur le retour à Honga Roa, on s’arrête sur des sites moins préservés où les Moaïs n’ont pas été relevés et gisent à terre. Ils sont nombreux sur l’île mais n’en demeurent pas moins magiques. Ici on se demande comment ces colosses sont tombés. Ont-ils été victimes de la vague géante d’un tsunami ? Jetés à terre lors d’insurrections contre l’ordre établi, sorte de révolution pascale ? Ou leur chute est-elle le résultat d’un changement de culte ? Le passé garde aujourd’hui encore ses secrets.


Le lendemain c’est une autre tradition culte que nous découvrons à la pointe Sud de l’île, au village cérémoniel d’Orongo : celle de l’homme oiseau ou Tangata Matu.
Le village est perché à flanc de falaise, au bord du cratère du fascinant Rano Kau, un des volcans fondateurs de l’île et dont un pan entier s’est effondré dans l’Océan. Au fond du cratère, une lagune magnifique utilisée dans le temps comme source d’eau douce par les habitants de l’île, et dont l’accès est désormais interdit pour en préserver le fragile éco-système.

On arrive au village sacré en suivant le chemin qu’empruntaient très certainement les centaines de participants au rite de l’homme-oiseau. Ici, les archéologues ont retrouvé et restauré une dizaine de maisons de pierre qui servaient d’abri lors de la cérémonie annuelle de Tangata Mahu.


La cérémonie serait attachée au culte du dieu Make Make, le créateur. Culte qui se serait développé sur le tard, en coexistence avec celui des Moaïs et aurait certainement pris le dessus au cours du 17e siècle. L’épuisement des ressources naturelles aurait-il amené le peuple Rapa Nui à se détourner de leurs ancêtres au profit d’un dieu spirituel ? Une trop grande inégalité entre clans, perpétuée héréditairement, aurait-elle poussé la société a choisir un système d’accès au pouvoir davantage fondé sur le mérite ?
D’après la légende, Make Make déposa sur l’îlot Motu Nui un œuf qui donna vie aux humains.

La cérémonie de l’homme-oiseau lui rend hommage et servait aussi à régler les conflits internes en désignant un « roi » par le mérite.
Tous les ans à la fin de l’été, les chefs de clan se réunissaient à Orongo avec leurs prêtres et champions. Les champions, ou hopu, représentants du clan, sautaient à la mer depuis la falaise d’Orongo et nageaient jusqu’à l’îlot Motu Nui. Là, ils se postaient chacun près d’un nid de sterne. La volonté de Make Make se manifestait par l’ordre de ponte des œufs. Le hopu qui, le premier, avait un oeuf pondu dans le nid choisi, le ramenait à son chef après avoir bravé l’océan et remonté la falaise (tout ça sans faire d’omelette !). Le chef était alors désigné roi et arbitre des conflits entre clans jusqu’à la prochaine cérémonie. Le hopu gagnant devenait pour sa part homme-oiseau, sacré, et accédait à certains privilèges. Le rituel perdura jusqu’en 1866 avant que les Rapa Nui ne soient complètement évangélisés par les colons…


Déjà le temps du départ pour certains… Nous disons au-revoir à nos nouveaux amis, Jo et Nathalie, qui rentrent sur Santiago, et partons découvrir à pied le Nord de l’île. Ici moins de Moaïs et plus de grottes formées lors des différentes éruptions et utilisées comme abris lors des guerres tribales qui secouaient l’île. L’une est un vrai complexe souterrain comprenant quelques pieds de banane et de tarot et utilisées dans le temps comme réservoir d’eau douce en plus d’un refuge.





A l’intérieur des terres, on s’arrête au site de Ahu Akivi, le seul où les Moaïs regardent l’horizon, face à la mer. Ceux-là représenteraient les sept courageux explorateurs envoyés par Hotu A Matu’a en reconnaissance sur l’île, regardant à jamais là d’où ils vinrent.

Dimanche, jour du Seigneur, nous mettons nos plus beaux habits pour assister par curiosité à la messe locale, une première pour Gisèle. Le premier office à lieu à 9h et l’église d’Honga Roa est pleine de fidèles et de curieux endimanchés comme nous. Le prêtre officie en soutane traditionnelle et coiffe de plumes, et dispense la messe en espagnol. Les chants, eux, sont entonnés en cœur en Rapa Nui, le polynésien d’ici. Au dernier chant une immense chaine humaine se forme dans l’église. Impressionnant moment de communion où l’on ne fait qu’un avec l’assemblée et où le verset “Aimons-nous les uns les autres” prend tout son sens. Un beau moment d’émotion.

Pour nous remettre, nous nous offrons une petite douceur dans un café. La pause est l’occasion de découvrir les ô combien délicieux alfajores, des petits sablés fourrés à la confiture de lait et enrobés d’une fine couche de chocolat… on vous laisse saliver.

De retour au camping, Désirée et son cousin nous invite à partager leur barbecue. On se sent entre amis, avec Pierre et Mélanie, deux autres français qui restent au camping. Face à la demande générale, Désirée nous entonne quelques chansons tahitiennes modernes accompagnées de son ukulele. On arrive même à la convaincre de nous montrer quelques pas de danse.
Enfin, quoi de mieux pour notre dernier jour sur l’île que d’aller se baigner dans les eaux pacifiques d’une des piscines naturelles de la ville avant de profiter d’un dernier coucher de soleil, magique, sur l’océan… Six jours seront passés en un éclair sur ce caillou du bout du monde.

