On ne s’éternise pas à Puerto Natales. Dès le lendemain du trek, nous troquons la grasse matinée contre le premier bus en direction d’El Calafate en Argentine. Il est 7h30.
A la gare, on retrouve Nolwenn et Julien qui se rendent au même endroit ; l’occasion de partager nos impressions sur le trek qu’on vient tous quatre de finir. On se parle avec des étoiles dans les yeux. Les leurs brillent plus encore car ils ont eu la chance de voir trois pumas au cours du dernier jour !
Le bus remonte vers le Nord, passe la frontière chilo-argentine et coupe son moteur à El Calafate en début d’après-midi. Notre Airbnb est accroché comme un bonbon à la menthe sur une petite butte à proximité de la station de bus. On tombe instantanément amoureux de ce cocon tout confort et agréablement chauffé. De la fenêtre du salon, on voit la ville qui s’étend entre une barrière rocheuse et le lago Argentino. Au fond, les Andes rehaussent la ligne d’horizon.


La ville d’El Calafate n’est pas en soit très excitante. On y vient surtout pour aller voir l’immense glacier Perito Moreno situé à proximité. Et on se joint au flot des touristes en y réservant une excursion. Nolwenn et Julien nous devancent d’un jour sur l’activité et, quand on les retrouve un soir à un bar de la ville, c’est avec difficulté qu’ils résistent à la tentation de nous raconter leur aventure pour mieux préserver notre surprise. On partage la table avec un autre couple de sympathiques français qui nous expliquent leur vie de « van lifers » en Amérique du Sud ; des voyageurs en campervan quoi.

L’Argentine est certainement le pays qui compte le plus de jours fériés par an (une vingtaine en tout). Il aurait donc été bien surprenant que l’on ne tombe pas sur l’un d’eux pendant notre mois dans le pays. D’ailleurs le 1er Mai est déjà là ! C’est donc au chaud et au repos dans le canapé du Airbnb que nous célébrons les travailleurs du monde entier. L’occasion aussi de tester le maté , une boisson traditionnelle que les Argentins boivent à longueur de journée (chez eux, en faisant les courses, en allant à la banque… ils ne se déplacent jamais sans leur thermos et leur maté !). Dans une calebasse, on met une bonne dose de yerba maté séchée (une plante d’Amazonie) que l’on recouvre d’eau chaude et on sirote le tout tranquillement à travers une bombilla. Le goût est franchement amer, pas du tout notre tasse de thé.

Le soir, on voit défiler sous nos fenêtres les trombines familières d’Agathe, Franck et Julien, les trois français rencontrés sur les chemins de Torres del Paine. Suite à nos conseils, ils ont réservé un Airbnb dans le même bâtiment que nous. Du coup, ce soir, c’est apéro entre amis et dîner à la maison !

Au petit matin, c’est avec ces trois compères que nous nous rendons au Perito Moreno. Armés de piolets et de crampons, nous nous lançons dans une excursion à même le géant.
Le front glaciaire s’étend sur 5 kilomètres et atteint par endroit 60 mètres de hauteur, on a beau se grandir, se hisser sur la pointe des pieds, bomber le torse et écarter les bras, on est des minus devant cette force de la nature.


Pendant une heure on a la chance d’évoluer à la surface du glacier. Cette dernière, façonnée par le vent, le soleil et le lent mouvement de la glace, s’habille de pics hérissés, de crevasses profondes et revêt un bleu irréel. On avance avec précaution, en file indienne, hypnotisés par les formes qui nous entourent.



La randonnée se termine de manière originale avec un whisky où pour une fois ce sont les glaçons qui sont plus vieux que le liquide doré qui brille dans nos verres. Même Gisèle qui n’est pourtant pas grande amatrice du breuvage apprécie l’attention. En plus, ça réchauffe.

De fourmis, on passe à moucherons. Les plateformes aménagées sur la rive opposée du glacier nous permettent de prendre un peu de recul et de mesurer l’immensité de la mer de glace qui s’étend devant nous.

Le glacier est l’un des trois seuls glaciers de Patagonie qui n’est pas en recul, fait assez rare sur la planète pour être souligné. Son front glaciaire avancerait d’environ deux mètres par an, créant des épisodes de vêlage où d’immenses blocs de glace se détachent et s’effondrent dans le lac Argentino en contrebas. Il arrive même parfois que les glaces rejoignent la rive opposée et divisent le lac en deux, se comportant alors comme un barrage naturel. Spectacle garanti lorsque tout s’effondre avec le retour des beaux jours ! Pas de vêlage lors de notre visite mais quelques craquements bien sonores et une majesté intemporelle qui nous émerveille.

Un nouveau jour se lève et nous laissons derrière nous El Calafate où nous avons bien rechargé les batteries pour rejoindre El Chalten, village indolent blotti aux pieds du massif du Fitz Roy. Agathe, Franck et Julien sont toujours de la partie. On a même réservé un chalet ensemble pour continuer les bonnes soirées entre amis.
A la descente du bus, le froid est pinçant mais le ciel d’un bleu éclatant. El Chalten existe depuis une trentaine d’années seulement, les maisons et les auberges ont poussé ici avec l’afflux grandissant d’alpinistes, de grimpeurs et autres marcheurs. Si le village bourdonne au printemps et à l’été, il est bien mort sur la fin de l’automne et on peine à trouver quelque boutique ou restaurant d’ouvert.

Mais la saison a aussi ses avantages, notamment celui d’une faible fréquentation des nombreux chemins de randonnées qui partent du village et ça, ça nous plait bien !
Pour notre première balade on part à l’assaut des miradors les plus proches. Une mini-grimpette et nous sommes récompensé par un panorama grandiose sur le massif du Fitz Roy et El Chalten, lové en contrebas ; derrière nous, la pampa patagonienne s’étire à perte de vue. Le contraste est saisissant. On est déjà à bout de superlatifs que trois condors rejoignent le tableau, s’élevant en spirale dans les airs sans un battement d’aile. N’en jetez plus, on est conquis !


Le réveil sonne à 7h le lendemain. Julien, qui n’est pas un grand randonneur, maugrée un petit peu devant son petit-déjeuner. Un rapide débarbouillage, on enfile nos couches et sur-couches, enfournons nos pique-niques dans les sacs et c’est parti pour une journée de randonnée au plus près du cerro Fitz Roy. Dehors, le jour pointe à peine le bout de son nez, le froid est saisissant et le village désert. On se croirait dans un western avant le face à face tant le silence est épais.
Le célèbre chemin de randonnée de la Laguna de los Tres commence en haut du village. Alors que les brumes matinales s’effacent, la nature ourlée de givre scintille sous les rayons du soleil levant. On a à peine fait quelques kilomètres, qu’on aperçoit un renard entre les couleurs de l’automne. La randonnée commence plutôt bien.
On s’émerveille à chaque pas de la dentelle blanche qui festonne les feuilles des arbres alentour. Le sol gelé craque sous nos semelles et des milliers de petites aiguilles glacées recouvrent le chemin.

Au détour d’un virage, le massif du Fitz Roy se dresse enfin devant nous. Il veille sur nous tout au long de l’approche, de la traversée des tourbières jusqu’aux escaliers qui marquent les derniers kilomètres.



Tout juste caressés par le soleil, ces derniers sont encore recouverts d’une épaisse couche de glace. La montée est sportive et mal assurée, on délaisse la posture debout pour une marche à quatre pattes ridicule mais beaucoup plus stable. C’est avec soulagement qu’on fait nos premiers pas dans la neige au sommet car enfin les chaussures retrouvent un peu d’adhérence. Dans tout ce blanc, on ne résiste pas longtemps à l’envie d’une bataille de boules de neige !

C’est tout ragaillardis et réchauffés qu’on arrive enfin à la Laguna de los Tres. Dans des eaux aussi bleues que le ciel au-dessus de nous se mire la fantastique aiguille du Fitz Roy…



On rebooste nos niveaux de vitamine D et d’énergie dans ce cadre exceptionnel avant de se lancer sur le chemin du retour. Les escaliers n’ont guère dégelé et la descente est périlleuse. Julien rouspète à n’en plus pouvoir ce qui fait bien rire Agathe et Franck.

Le lendemain, Julien préfère rester se reposer au chalet alors qu’on s’élance sur les 18 km menant à la Laguna Torres, une autre lagune formée par la fonte d’un des 47 glaciers qui forment l’immense calotte du parc national de Los Glaciares.
Juste une petite randonnée de décrassage après les 25 km de la veille, mais les jambes piquent un peu. Moins chanceux, on avance aujourd’hui sous un temps couleur poussière et les montagnes se gardent bien d’enlever leurs bonnets de nuage. Dans cette ambiance maussade, la lagune parait moins jolie mais les blocs de glace qui la recouvrent sont une nouvelle occasion de s’amuser.


Nous fêtons la fin de ce superbe séjour au restaurant. L’occasion aussi de succomber à l’excellente gastronomie locale dont la spécialité est l’agneau de Patagonie, suivi bien sûr de l’indétrônable crème de dulce de leche au dessert.
Le lendemain, nous partons plus au Sud pour Ushuaïa tandis qu’Agathe, Franck et Julien remontent vers le Nord et la région de Bariloche. On se quitte à la station de bus, en espérant tous se revoir très prochainement, que ce soit en Argentine, à Paris ou à Bristol.
