L’Argentine – Tierra del Fuego

Plus de vingt-quatre heures de bus nous séparent de notre prochaine étape, Ushuaïa. Attachez vos ceintures c’est parti !

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Au-revoir les guanacos d’El Chalten

En route, on repasse brièvement par El Calafate. Enfin brièvement… on marque en fait un arrêt de douze heures entre deux bus, suffisamment pour rafraichir notre linge, aller saluer les flamants roses du lago Argentino et tuer le temps au café Pietros.

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Fin de journée sur El Calafate

A 3h du matin, nous sommes plus que prêts à embarquer dans le deuxième bus de ce périple, et surtout à dormir. Six heures de sommeil plus tard, les portes s’ouvrent à Rio de Gallegos, au Sud de l’Argentine continentale ; tout le monde descend. Dans la station de bus, le medley des années 90 que crache les enceintes nous donne la patate et on finit de se réveiller avec un petit café et une brioche devant un superbe lever de soleil.

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Embrasement général

Le troisième et dernier bus nous ramène au Chili pour une courte traversée. A la frontière, nos sacs sont minutieusement fouillés et reniflés. Ici, les douanes ne rigolent pas et tout ce qui est d’origine végétale doit être déclaré et jeté, même cette innocente pomme que nous souhaitions manger au déjeuner.

C’est à bord d’un bateau que nous déjeunons justement, alors que nous traversons le mythique détroit de Magellan. On se rappelle alors nos cours d’histoire et on imagine le courage, la curiosité ou l’inconscience (sans doute un peu des trois) de Magellan et de son équipage qui rallièrent ici l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique au XVIe siècle sur la route du premier tour du monde réalisé par l’Homme. Notre tour du monde en ce XXIe siècle est certes incomparablement moins audacieux, mais on ne peut s’empêcher de ressentir une sorte de fierté de se trouver là nous aussi. De l’autre côté, la grande île de la Terre de feu nous attend.

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Tout le monde à bord !

Cette dernière, partagée entre le Chili et l’Argentine, tient son nom des marins de Magellan qui remarquèrent la présence de nombreux feux, visibles depuis la mer. Ceux-ci étaient en fait entretenus par les peuples amérindiens, notamment les Selknams, qui vivaient ici depuis 12 000 ans. Nous avons déjà eu l’occasion de nous intéresser aux Selknams en visitant le Chili. Ce peuple dont les jeunes hommes peignaient leurs corps nus de blanc et de rouge et revêtaient d’étranges masques lors des rituels de passage à l’âge adulte, fut exterminé par les colons européens. Chasseurs nomades, ils gênaient les activités d’élevage des nouveaux venus qui amenèrent avec eux la notion de propriété privée et décidèrent de mettre leur tête à prix. En 1905, ils ne restaient que 500 Selknams pris en charge dans des missions. La dernière représentante de ce peuple disparut en 1974.

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Peinture murale commémorant les peuples Amérindiens persécutés

A 21h, on pose enfin pied à Ushuaïa. Il fait alors nuit noire et on découvre à tâtons la topographie de la ville qui s’étend entre mer et montagne.

Notre Airbnb est perché sur les hauteurs. A l’ouverture de la porte, une douce chaleur nous invite de suite au sommeil. Au petit matin, on se pince pour s’assurer qu’on ne rêve pas face à la vue qui s’offre à nous.

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Vue du salon, on domine Ushuaïa, sa baie et le soleil levant

On optimise notre séjour de quatre jours en prévoyant dès l’après-midi une randonnée. Agathe et Franck nous ont justement recommandé d’aller jeter un œil à la Laguna Esmeralda. Cette dernière se trouvant au milieu de tourbières, ils nous ont aussi vivement conseillé de nous munir de bottes (eux y ont laissé leurs chaussures…).

Après un Skype avec Sadia et Virginie (des copines de France) pour planifier nos futures retrouvailles au Pérou et surtout réserver la visite du fameux Machu Picchu (car oui il faut s’y prendre en avance), on part négocier la location d’une voiture et de deux paires de bottes.

A midi, nous commençons notre expédition. Les panneaux à l’entrée du chemin annoncent la couleur : nous sommes ici en terres castor. Ces petites bêtes ont été introduites par les Canadiens en 1946 pour la production de fourrure. Quelques fugitifs se sont cependant bien plus dans le coin et en l’absence de prédateur, l’espèce a vite proliféré. Aujourd’hui les castors sont partout, polluant les cours d’eau et inondant ce fragile écosystème. Les arbres sont les premières victimes car s’ils ne tombent pas sous leurs dents, beaucoup meurent ne pouvant survivre les pieds dans l’eau…

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Les barrages de castor inondent la nature environnante

Le sentier qui jusque-là se déroulait dans la forêt, débouche sur une tourbière. Les premiers pas s’enfoncent moelleusement dans la matière organique. Quelques flic-flocs plus loin, les bottes s’enfoncent plus dangereusement, parfois jusqu’à mi-mollet. Des randonneurs que nous croisons en sens inverse arborent de la boue jusqu’aux genoux !

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Paysage de tourbières

Précoce à cette latitude, le déclin du jour magnifie le paysage. La lagune en elle-même ne nous impressionne pas vraiment ; serions-nous blasés de ce type de paysages après El Chalten ?

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Les eaux émeraude de la Laguna Esmeralda

Par contre, on apprécie observer ses occupants : un couple de caracaras donnant la becquée à leur petit. On savoure la solitude de l’instant avant de rebrousser chemin.

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Maman caracara austral et son petit

Avec l’obscurité qui tombe, le retour prend des allures de jeux de piste. Il s’agit de repérer les balises sans tomber dans les pièges aqueux de la tourbière !

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Attention à ne pas trop s’enfoncer

Le lendemain, nous allons visiter le parc national de la Terre de feu à l’extrémité sud-ouest des terres argentines. Peu téméraires en ce temps automnal, nous choisissons de n’y passer qu’une journée et surtout de le parcourir en voiture. D’autres le sillonnent à pied, sacs et tentes sur le dos, prenant le temps de découvrir cette nature encore sauvage au tempo lent de la marche.

Le rouge de l’automne habille la végétation et contraste magnifiquement avec le bleu de la mer. Nous traversons des paysages de lagunes, des tourbières et des cours d’eau gonflés par les barrages des castors.

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La côte
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Un caracara huppé se promène en Terre de feu
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Ces arbres n’ont pas survécu aux castors

En souvenir de sa visite dans cette contrée reculée, Damien fait apposer le sceau du bureau de poste « du bout du monde » dans son passeport. Il gagne en prime la photo du facteur barbu et bon vivant, emblème du coin.

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Souvenir de notre virée australe

Au bout des 3000 km de la ruta nacional qui s’étire depuis Buenos Aires, un troupeau de chevaux sauvages croise notre route au galop alors qu’un arc-en-ciel se dessine sur la mer.

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Le bout du bout

La mer, la mer… en fait il ne s’agit pas vraiment d’une mer mais plutôt des eaux du canal de Beagle qui nous sépare du Cap Horn juste en face ; canal qui tire son nom de ce navire britannique dirigé par un certain vice-amiral FitzRoy dont le nom est encore accroché aux sommets escarpés des Andes argentines. L’une des deux expéditions que mena le capitaine dans la région compta d’ailleurs à son bord Charles Darwin, alors jeune naturaliste.

Pour notre ultime visite de la région, nous prenons le large le temps d’une demi-journée. En saison, des expéditions traversent le canal de Beagle pour se rendre sur plusieurs semaines jusqu’en Antarctique, voir ses étendues vierges et ses fameux habitants en queue-de-pie. Au cas où, nous avons regardé s’il était possible de se joindre en dernière minute à l’une d’elles, pour un prix bradé comme nous avons pu le lire sur certains blogs de routards. Nous avons vite réalisé que la « saison » se résume en fait uniquement aux mois de Janvier et Février. L’Antarctique est un joyau difficile à contempler et c’est peut-être mieux ainsi, certains espaces devraient rester le plus sauvage possible.

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Il faudra revenir pour voir le bout du monde et les manchots empereurs

Nous nous contentons donc d’une excursion bien plus courte et moins dangereuse jusqu’au phare Les Éclaireurs (en français dans le texte), l’occasion de saluer les lascifs lions de mer et leurs bruyants voisins palmés, les cormorans.

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Ça piaille
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Ça se prélasse
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Le phare Les Eclaireurs qui prévient les marins à l’entrée de la baie d’Ushuaïa
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Les Argentins, jamais sans leur maté

Avant de débarquer, nous mettons pied à terre pour une rapide escale sur l’île de Bridge. Désertique et inhospitalière, elle reflète le décor des îles sur lesquelles s’installaient les Selknams dans le temps.

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Avec un temps pareil, l’endroit n’est pas si désagréable

Revenus dans la baie d’Ushuaia, nous profitons d’être en centre-ville pour déjeuner au restaurant. Sur les cartes, plusieurs spécialités locales : l’agneau patagon bien sûr mais aussi l’araignée de mer et même le castor ! Sachant que ce dernier est ici un nuisible, l’idée de contribuer à la protection de l’écosystème fuégien en en mangeant nous tente bien. Malheureusement le seul restaurant en proposant tient portes closes hors-saison. On se rabat donc sur l’araignée de mer, un mets prisé dont les restaurateurs font payés le prix fort aux touristes (on ne trouve d’ailleurs pas d’informations claires à ce sujet… le prix est-il dû à une baisse des quotas suite à une surpêche ou est-ce qu’au contraire, l’espèce pullule mais la demande est telle que les restaurants peuvent se permettre une sacrée marge ?). On se partage un plat en s’appliquant à déguster en pleine conscience chaque bouchée de la chaire succulente de ce gros crustacé pouvant être pêché jusqu’à 700 mètres de profondeur.

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Le roi des crabes

Pour notre dernière journée, le temps s’assombrît et nous pousse à nous retrancher dans notre cocon du bout du monde. On ne boude cependant pas cette journée à l’appartement qui nous permet d’avancer un peu sur le blog et de planifier la suite de notre itinéraire argentin.

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En vrac, le conflit des malouines semble encore loin d’être réglé et les Patagons vivent dans de toutes petites maisons

Au cours de la nuit, la température diminue considérablement et c’est d’un sol gelé que nous nous envolons pour Cordoba, quatre heures de vol et 3000 km plus au Nord. C’en est fini de la Patagonie et de la Terre de Feu. Notre périple autour de la planète aura atteint ici son acmé australe, le 55ème parallèle Sud, au bout des terres habitées par l’Homme.

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Un dernier regard sur les Andes

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