L’Argentine – Moines et cowboys à Cordoba

Lundi 13 Mai 2019, le vol Aerolinas Argentinas AR2861 atterrit à l’heure à Cordoba, deuxième plus grande ville du pays avec son million d’habitants. Il est midi et le choc thermique subi à la sortie de l’avion est d’ampleur ; partis avec les gelés matinales d’Ushuaia, nous ôtons vite manteaux et polaires pour supporter les 23°C qui s’affichent au thermomètre.

Une fois dans le terminal, nous nous mettons en quête d’un bus en direction du centre-ville mais la tâche ne s’avère pas si simple. Entre trouver le centre d’information, formuler nos questions et comprendre les explications de l’agent de renseignement à l’accent argentin prononcé, on galère bien avant de réaliser finalement qu’il faut une carte de bus et que celle-ci s’achète dans une boutique d’alfajores (les délicieuses pâtisseries sud-américaines dont nous sommes tombés amoureux). La queue devant le comptoir de la boutique nous décourage un peu et après trente minutes d’attente, on finit par s’arranger avec deux argentins pour partager un taxi.

Arrivés au Airbnb réservé la veille pour trois nuits, on découvre un immeuble de ville un peu vieillot et deux occupants bien sympas : Marco, un étudiant en médecine qui carbure au maté, et son cousin, Horacio. Les deux nous font sentir immédiatement comme des membres à part entière de la colocation et on apprend que Cordoba est l’une des villes les plus étudiantes du monde en pourcentage de sa population.

On s’installe tranquillement dans notre chambre spacieuse mais peu lumineuse et sans lit double. Seulement voilà, pour moins de dix euros la nuit au centre de Cordoba, peut-on vraiment se plaindre ?

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Cinq étoiles !

Un tour à la supérette du coin pour faire quelques provisions, un rapide dîner concocté dans la grande cuisine de l’appartement et c’est bien fatigué par cette journée de transit que l’on s’endort comme des bébés.

Le réveil est plutôt adolescent. La carte de l’application Maps.me dûment épinglée des points d’intérêt de la ville, nous levons le camp vers onze heures.

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A nous deux Cordoba !

On commence par un rapide coup d’œil au phare du bicentenaire situé devant notre porte ; il célèbre la révolution de Mai 1810 qui vit l’Argentine gagner son indépendance vis à vis de l’Espagne.

Puis nous descendons l’avenue Hipólito Yrigoyen, du nom du premier président argentin élu au suffrage universel direct, et marquons une pause dans le jardin du palais Ferreyra, superbe bâtisse de style Beaux-Arts abritant le musée des beaux-arts de la ville. Ça ne s’invente pas. Il et malheureusement fermé pour travaux, on ne profite donc que du jardin.

Au bout de l’avenue, nous tombons sur le Paseo del buen Pastor, haut lieu de la vie sociale et culturelle de Cordoba. Assis sur un banc, on observe les passants et remarquons nombre de jeunes et de moins jeunes en train de papoter ici et là en petits groupes autour d’un maté qui passe de main en main. On réalise alors que cette boisson est bien plus qu’un simple énergisant ; c’est aussi un lien social entre les argentins, encore plus fort que ne peuvent l’être le thé ou le café chez nous. Cela nous donne d’ailleurs envie d’y goûter à nouveau après l’expérience amère (au propre comme au figuré) d’El Calafate.

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Maté, musique, maman

Jouxtant le Paseo, l’église des Capucins détache ses tours asymétriques sur le ciel bleu de l’après-midi. En s’approchant, elle révèle son style néogothique et sa façade foisonnante de sculptures. On y retournera de nuit sur les conseils d’Horacio pour la voir s’illuminer sous des projecteurs colorés.

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Jolie Capucine

Au cœur de la ville, on traverse la Plaza San Martin. Typique des grands-places de l’empire hispanique, elle est bordée du Cabildo (l’hôtel de ville) et d’une imposante cathédrale. L’héritage culturel et religieux est ici si important que se trouvent aussi à proximité la Basilique de la Merced et l’énorme complexe de la Manzana Jesuítica, regroupant l’université et l’église de la compagnie de Jésus, classé au Patrimoine mondiale de l’Humanité.

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A défaut de colombes, la cathédrale semble lâcher des pigeons de la paix
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La Merced extérieur et intérieur

Malheureusement pour nous, le complexe jésuite n’est ouvert qu’à des horaires bien précises, que nous avons omis de vérifier, et nous trouvons donc porte close.

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Moins colorés que les Capucins, les Jésuites prennent en revanche plus de place en ville

De retour chez nos hôtes, on converse avec Marco qui tente de réviser ses partiels, un maté à la main. Il nous tend son breuvage que nous partageons avec joie et nous explique comment le préparer ainsi que les différences de saveur suivant l’herbe à maté utilisée. Pas avare de bons conseils, il nous indique aussi une boutique locale pour acheter maté et herbe à maté et un bar étudiant branché pour passer la soirée.

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La ville et ses étudiants
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Choix du maté dans une rue colorée

Après le dîner, nous découvrons donc l’agréable cadre de la « Favela para habitar », aménagée dans la cour intérieure d’un bâtiment colonial. Il est déjà 22h et nous sommes les seuls clients. En attendant que le lieu se remplisse, on commande quelques bières plutôt bon marché à 2€ la pinte et un Fernet con Cola, boisson emblématique du pays. La première gorgée s’avère très amère, semblable au Campari, mais comme pour le maté, les papilles s’habituent au fil de la boisson.

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Boire, trinquer et oublier

A 23h, le bar est plein et la scène s’anime pour une soirée concert qui nous rappelle la Canteen de Bristol, à la sauce argentine por supuesto !

L’Église de la Compagnie de Jésus (des Jésuites donc) nous ouvre ses portes le lendemain. L’édifice date du XVIIe siècle et est remarquable par sa voûte et sa coupole tout de bois de cèdre ressemblant à une coque de bateau renversée. C’est par contre toujours raté pour la chapelle et ses peintures sur peaux de vache tendues au plafond qui, elle, demeure fermée.

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Amen

A midi, le tour de Cordoba bouclé, on hésite entre filer 40km au Sud-Ouest vers Alta Gracia, qui abrite la maison d’enfance de Che Guevara, ou 50km au Nord vers Jesus Maria et son estancia jésuite. Jesus Maria se révèle bien plus facile d’accès et nous partons donc en bus dans cette direction.

Placée stratégiquement sur le Camino Real, la route marchande principale entre Lima et Buenos Aires, l’estancia de Jesus Maria était à l’origine un grand centre agricole où travaillait des Jésuites et plus de 300 esclaves pour, notamment, faire du vin. Elle fait partie du même complexe régional que la Manzana Jésuitica visitée le matin même et sa visite nous offre une compréhension plus globale du fonctionnement de cet ordre religieux qui administra la province pendant plus d’un siècle avant de se faire expulser par ordonnance du Pape Clément XIV en 1773. Les Jésuites devenaient alors trop puissants et remettaient en cause à la fois l’autorité du roi d’Espagne et celle du Pape.

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Une belle estancia dans le calme de la campagne

Il n’y a pas grand monde dans les parages et nous avons tout loisir de visiter le petit musée, d’apprécier le bleu layette et le jaune pastel de l’église et de regretter le gore des sculptures religieuses (ah les Jésuites et la souffrance du Christ…).

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La cour de l’estancia de Jesus Maria, décorée d’une amphore qui contenait le vin

Dans les jardins, Léo, sympathique technicien de surface à l’estancia, nous présente pendant plus d’une demi-heure la grande et la petite histoire des lieux avec un accent campagnard à couper au couteau que l’on peine à comprendre.

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Toutes les voûtes sont bleues

La logistique de la région étant plutôt complexe nous avortons notre tentative d’aller visiter l’estancia de Santa Catalina sous peine de ne pouvoir rentrer sur Cordoba et mettons à profit le trajet de bus retour pour planifier la suite du voyage.

En navigant parmi les options de logement proposées à Buenos Aires, on découvre la section « expérience » d’Airbnb, où des locaux proposent des activités de tourisme alternatif. Par curiosité, on regarde ce qui est proposé à Cordoba et on est de suite tenté par l’offre d’un gaucho proposant de découvrir sa culture le temps d’une journée à cheval dans la Sierra Chica, à l’Ouest de Cordoba. Quatre heures de balade à cheval, un véritable asado argentin et le transport inclus pour 50€ par personne, on est vite convaincu.

Il est 8h du matin quand Salvador, notre compère du jour, passe nous prendre à Cordoba dans son 4×4, accompagné de Guillaume, un jeune belge qui l’aide pour quelques semaines comme volontaire dans l’estancia. Histoire d’annoncer la couleur, ils portent tous deux la tenue traditionnelle : béret et bottes de cheval.

Les gauchos sont un peu les cowboys d’Amérique du Sud. Cavaliers émérites, dresseurs de chevaux criollos, ils sont les gardiens des troupeaux qui paissent dans les grands espaces de la pampa argentine. Très fiers, ils perpétuent par leur mode de vie, aussi rustique soit-il, le patrimoine folklorique, vestimentaire et culinaire de cette grande culture.

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Salvador le gaucho et son criollo

On passe récupérer deux touristes de plus en la personne de Jacob et Joshua, deux futurs docteurs de New York, et c’est parti pour l’Ouest Américain ! (Sud-américain entendons-nous bien).

Notre espagnol ayant bien progressé depuis nos balbutiements à Santiago du Chili il y a un mois et demi, nous pouvons échanger pleinement avec Salvador et découvrons un personnage truculent. Chaleureux, fier, drôle et cultivé, il nous explique milles choses sur les gauchos et nous confie avoir été banquier à Cordoba avant que la crise financière de 2008 ne lui offre, bon gré mal gré, l’opportunité de changer de vie et de renouer avec ses racines : la meilleure décision de sa vie selon lui.

Il tient à partager tout ce qu’il sait et qu’il aime, ce qui passe aussi par la musique… On a donc droit à l’incongru remix samba d’une phrase de Jacques Chirac : « je serai le président de tous les français ». On éclate de rire et on doit malheureusement lui révéler que ce n’est pas une chanson connue de « tous le français ».

Salvador s’occupe de l’estancia Rosalia, plus de deux cents ans d’histoire, qui accueille désormais mariages et autres cérémonies.  Après un petit tour du propriétaire, il est temps d’apporter un encas aux chevaux puis à nous-même. Rassasiés de saucisson et désaltérés de bière, nous enfourchons nos montures pour deux heures à travers la Sierra Chica, jusqu’à la petite ferme d’un ami de Salvador chez qui nous allons vraiment déjeuner (ou plutôt goûter car il est déjà 15h).

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Un peu de carburant et en route !
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Et quelle route !
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Même si le chemin n’est pas toujours tracé…

Chiche est un vrai gaucho, bourru au possible, qui vit sur une parcelle dans les bois avec ses quatre chiens, ses chevaux, ses vaches et ses cochons. Sa maison est de chaume avec un toit traditionnel fait pour moitié d’herbe de la pampa (sorte de roseau à plume) et pour moitié de terre. Chiche et Salvador nous préparent un superbe asado (LE barbecue argentin) avec du chorizo et plusieurs pièces de bœuf toutes plus succulentes les unes que les autres. On se régale à comparer le goût de l’espalda, le vacio (flanc) et les côtes ; le tout accompagné d’un délicieux Malbec argentin.

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Miam !

Repus et contents, on enfourche nos montures sur le coup des 18h pour rentrer. Le soleil rasant de fin de journée éclaire d’une lumière dorée les grands espaces qui nous entoure. On savoure pleinement la sérénité des lieux et du moment, espérant ainsi les imprimer durablement dans nos mémoires.

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Le bonheur argentin

Les adieux faits, nous sommes de retour à Cordoba à 20h, passons récupérer les sacs à dos laissés chez Marco et Horacio, faisons nos adieux ici aussi, et marchons jusqu’à la station de bus. En bons routards, nous prenons le bus de nuit pour Buenos Aires, ce qui permet d’économiser quelques pesos en combinant transport et logement. En plus, le bus est vraiment confortable avec des sièges inclinables quasiment à l’horizontale et un plateau repas complet agrémenté d’un whisky en digestif.

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Voyage en première classe

Il faut dire que les Sud-Américains voyagent beaucoup plus en bus que les Européens, le rail étant peu développé et l’avion encore peu démocratisé. Le niveau de prestation s’est adapté en conséquence et c’est bien installé dans notre bus que l’on s’endort, bercés par le ronron du moteur et la tête encore pleine d’images de cette journée géniale.

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