Sept-cents kilomètres de route depuis Cordoba et nous voici arrivés à Buenos Aires, capitale de l’Argentine.
Il est 8h du matin en ce vendredi de Mai et nous avançons dans les rues calmes avec nos sacs sur le dos, à la recherche de notre logement pour les prochains jours. On le trouve au croisement des rues Belgrano et Peru, au cœur du quartier San Telmo, l’un des plus vieux de la ville. Catriel nous accueille dans son superbe appartement décoré avec goût ; en même temps, il est plus facile d’avoir bon goût quand vous faites comme lui des études de mode.
Jeune homme charmant, serviable et cultivé, il nous fait de suite nous sentir comme chez nous nous proposant un bon café et nous racontant sa ville, ses quartiers et son architecture.

En bonus, la connexion internet est ultra-rapide ; simplement la meilleure qu’on ait eue depuis le début du voyage. On en profite pour s’informer plus amplement sur la ville et les choses à y faire, charger des photos sur le blog, mais aussi télécharger en très haut débit tous les épisodes de Game of Thrones qu’on n’a pas encore vus (la faute à Agathe, Franck et Julien qui étaient à fond sur la dernière saison de la série à El Calafate et nous ont donné l’envie de reprendre là où on en était resté).
La reconnexion au monde virtuel effectuée et les esprits reposés du voyage, on s’en va déambuler dans les rues du Paris de l’Amérique du Sud, l’appareil-photo autour du cou. Il faut bien reconnaître que son surnom n’est pas usurpé. Depuis notre départ de France, c’est la première fois que nous ressentons une telle impression de familiarité. La ville arbore une architecture qui rappelle à la fois Paris et Madrid, et dégage une agréable atmosphère hybride, latino-américano-européenne.

L’Histoire n’y est bien sûr pas étrangère et ce cocktail est bien le fruit de la colonisation espagnole démarrée au XVIe siècle, et des vagues d’immigration européennes qui s’ensuivirent jusqu’à culminer avec l’arrivée de millions d’Italiens au début du XXe siècle.
On applique la même recette qu’à Cordoba en connectant un à un les repères placés au préalable sur la carte de notre application Maps.me, évitant ainsi de trop nous perdre dans l’immensité de cette cité de 3 millions d’âmes.
La place centrale se découvre sous une belle luminosité. Nommée Plaza de Mayo, son centre est planté d’un obélisque en mémoire de la révolution de Mai 1810.


A l’Est, la Casa Rosada, le palais présidentiel dont la couleur singulière symbolise de réconciliation des unionistes, en blanc, et des fédéralistes, en rouge, après les guerres civiles et meurtrières qui les opposèrent au XIXe siècle. Juste devant trône la cavalière statue du général Belgrano, leader des guerres d’indépendance et créateur du drapeau argentin dont une gigantesque version flotte au vent.


En face, le Cabildo, l’hôtel de ville où fut signé le traité d’indépendance. On le visite en compagnie d’une flopée d’écoliers visiblement moins emballés que nous par l’Histoire de leur pays. Au balcon, on observe la vie qui passe et repasse sur les pavés de la place.

Calée dans l’angle Nord-Ouest, la surprenante cathédrale métropolitaine de Buenos Aires nous domine. Dénuée de tours, elle affiche une façade à colonnade surmontée d’un fronton qui nous fait plutôt penser à un temple grec qu’à un haut lieu du christianisme. Un de ses archevêques n’était pourtant qu’un certain Jorge Mario Bergoglio, désormais plus connu sous le nom de pape François.


La balade continue jusqu’au monumental Centro Cultural Nestor Kirchner. Autrefois bâtiment de la poste centrale, il fut reconverti en 2005 par le président socialiste qui lui donna son nom en un haut lieu de la culture vivante du pays, accueillant sur ses 7000 mètres carrés des concerts et des expositions gratuites de qualité.

Le jour avance et nous rentrons à l’appartement en faisant un détour par le quartier portuaire réhabilité de Puerto Maduro qui nous rappelle fortement les quais de Bristol.


Un peu de répit et nous nous préparons déjà pour sortir. Ce soir, nous allons voir l’Argentine danser. Mais pas n’importe quelle danse : son légendaire tango ! A 22h, heure à laquelle le spectacle est censé commencer, les rideaux de la milonga Cumparsita que l’on a repérée à l’angle des rues Chile et Blacarce sont cependant toujours tirés.
On patiente en faisant un petit tour dans le quartier de San Telmo, l’occasion de découvrir l‘intense activité nocturne des Argentins remplissant bars et restaurants, et d’aller faire coucou à Mafalda, sagement assise sur son banc.

Le spectacle démarre finalement à 23h. Pour 800 pesos argentin, soit environ 15€ par personne, on a droit en prime à des en-cas salés et une bonne bouteille de vin. Face à la faible fréquentation des lieux, on se pose des questions sur notre choix du soir. Nous sommes quasiment les seuls dans la petite salle en compagnie d’un couple d’habitués seniors, habillés pour danser, et d’un couple de chiliens en vacances, fêtant ici leurs 50 ans de mariage. Bien vite on réalise que Buenos Aires est vraiment plus proche de Madrid que de Paris quand les locaux, dont la plupart dépassent allègrement la soixantaine, commencent à débarquer après minuit et ce jusqu’à une heure avancée du matin !

Dans cet endroit unique, on apprécie les multiples facettes du tango (musique, chant et danse) en compagnie des réguliers et dans une ambiance très feutrée (rideaux et portes fermés, lumières tamisées). Le barman et les serveurs semblent tout droit sortis d’un film d’Al Pacino. Le lieu est pétri d’histoire, comme son public, et on apprécie le spectacle sous le regard de Gardel, légende parmi les légendes du tango, né à Toulouse, et dont le portrait est accroché au mur, bien en évidence.
Sur l’estrade, un maestro de l’accordéon dont on ne compte plus les années s’exécute tantôt accompagné de guitare et de basse, tantôt de piano. Un chanteur hors d’âge entonne de beaux classiques alors qu’un couple de danseurs enlacés dans un combat singulier esquisse avec brio plusieurs pas de tango.
Ils ne mettent pas longtemps à repérer nos têtes de novices et nous convient sur la piste pour apprendre quelques pas avant qu’un deuxième couple de danseurs n’entre en scène. On a alors l’opportunité d’apprécier différentes exécutions d’un même tango et la connivence, l’alchimie, qui se créé au sein de chaque couple.

Nos voisins de table chiliens s’avèrent avoir travaillé à Coventry, ce qui nous fait sympathiser encore plus vite, et ils sont des amateurs de tango bien plus compétents que nous sur la piste de danse.
Trois chanteurs de tango se succèdent ainsi qu’une chanteuse colombienne, preuve que le tango s’apprécie aussi plus au Nord ! Au final, on quitte la Cumparsita à 3h du matin. Toutes les tables sont alors occupées et c’est plus de quarante personnes qui partagent à l’unisson, l’émotion, la sensualité et la fierté du tango dans une atmosphère incroyable. On se dit qu’on aimerait bien avoir autant d’énergie que tous ces petits vieux à leur âge et on se couche avec l’impression d’avoir partagé un moment spécial parmi les amateurs de la première heure du vrai tango populaire de Buenos Aires.
Samedi matin, le réveil est plutôt tardif et la gueule légèrement enfarinée ; la bouteille de Malbec de la veille n’y est sans doute pas étrangère. Mais le jeu en valait la chandelle et nous évoquons encore avec délice notre soirée.
Une bonne douche pour nous remettre d’aplomb et c’est reparti pour l’exploration. Aujourd’hui nous visitons le quartier branché de Palermo, au Nord de la ville. Il dégage une indéniable ambiance bobo-hipster avec sa multitude de petits restaurants parfaits pour un brunch en terrasse, ses bars et brasseries artisanales, son chapelet de boutiques indépendantes, son marché d’artisanat local et ses parcs urbains où étudiants et familles avec poussette se mêlent joyeusement.


Le soir, on est invité à dîner chez Flor, son mari Diego et leur fille Micaela, encore plus au Nord, dans le quartier résidentiel d’Olivos. Après avoir travaillé deux ans ensemble pour IT Power et ne s’être vues qu’à travers Skype, l’une étant à Buenos Aires, l’autre à Bristol, Flor et Gisèle ont enfin l’occasion de se rencontrer physiquement.

Pour l’occasion, la petite famille a prévu une parilla traditionelle dans le jardin, qui se transforme finalement en asado au four à cause de la pluie. On se régale de spécialités argentines, dont notamment le queso con dulce de cayote, un fromage frais nappé de confiture de courge pris ici en dessert, délicieux.
Le temps passe à toute vitesse tandis que nous parlons de nos vies et de nos cultures respectives. Nous en apprenons ainsi beaucoup sur la situation politique, économique et sociale très difficile dans laquelle se trouve le pays. Avec une inflation galopante, un marché du travail tendu, des prêts immobiliers contractés en dollars et des salaires payés dans un peso argentin qui ne cesse de dégringoler, les classes moyennes font face à l’inquiétude d’un brutal déclassement social qui les verrait gonfler les rangs des plus pauvres déjà dans une détresse inextricable. A l’inverse, cette situation profite aux touristes comme nous qui visitent le pays à moindre frais. Heureusement, Flor et Diego respirent la joie de vivre et nous font passer une soirée bien insouciante. On a bien mangé, bien bu et beaucoup rigolé et on se quitte ravis bien après minuit.
Le dimanche à Buenos Aires c’est brocante le matin et football l’après-midi ! Les fameuses ferias artesanales se déploient dans tous les quartiers anciens de la ville et le quartier de San Telmo n’y fait pas exception. Sur la place Dorregano, artistes et brocanteurs se mêlent aux chineurs qui flânent d’un étal à l’autre, s’arrêtant là devant des siphons d’une autre époque, ici devant un bijou, une fourrure ou des verres en cristal. Dans un coin de la place, un couple interprète quelques pas de tango. Ils sont là tous les dimanches pour l’émerveillement des touristes. Une véritable institution.


Sur la plaza Lezama, c’est parmi les étals de vêtements de seconde main qu’on déambule avant de pousser plus au Sud jusqu’au mythique quartier de La Boca.
Quartier pauvre de la ville, il est connu pour son ambiance animée, ses maisons colorées, sa vigueur politique et ses aficionados du Boca Junior, le club de foot le plus populaire d’Argentine avec son ennemi juré de River Plate. On passe devant son célèbre stade de foot, la bleue et jaune Bombonera dont les ruelles adjacentes sont pleines de bars sportifs et d’échoppes vendant maillots et écharpes aux couleur du club.


Faute de match, le stade est aujourd’hui silencieux à l’inverse du célèbre Caminito adjacent. Sur deux rues bigarrées, bourdonnantes de touristes, s’enchainent boutiques de souvenirs et restaurants dont les menus s’expriment chacun dans plus de quinze langues. Devant, des « danseurs de tango » font quelques pas vite arrêtés pour demander la pièce au chaland qui ajuste son appareil photo.


Clairement dévoyé par le tourisme de masse, rien ne semble ici très authentique et on se croirait presque dans un parc à thème. Cependant, si le touriste déambulle ici en relative sécurité (à l’exception des sempiternels pick-pockets), il lui est clairement déconseillé de s’aventurer plus en avant de ce quartier pauvre, au risque d’une mauvaise rencontre.
Un peu déçus, on attrape un bus qui nous mène vite vers un autre lieu d’intérêt de la ville (beaucoup plus calme celui-ci) : le cimetière Recoletta. Sorte de Père Lachaise portègne, on y passe le reste de l’après-midi entre fastueux mausolées et caveaux à l’abandon.

Les Argentins viennent plus particulièrement se recueillir sur le mausolée de la famille Duarte, où repose Eva Peron, Evita comme on l’appelle aussi. Chérie du peuple, l’épouse du plus grand président de l’Histoire du pays, Juan Domingo Peron, fut aussi actrice, défenseuse de la cause féministe et personnalité politique majeure. Sa mort subite à seulement 33 ans la fit définitivement entrer dans la mémoire nationale.

Le chemin retour se fait par la belle Plaza Francia et l’étrange Floralis Generica, sorte de fleur métallique de 20 mètres qui s’ouvre et se ferme avec le jour.

Le soir venu on s’installe au bar pour regarder le match opposant les clubs d’Argentinos Junior et de Boca Junior. Le premier vit éclore un certain Diego Maradona et le second le révéla aux yeux du monde entier. On voulait aller au stade vivre la ferveur sportive mais les prix pratiqués pour les touristes sont ridiculement élevés, surtout au regard du coût de la vie. Pas de regret, le match n’est pas fou et l’engouement tout relatif. D’ailleurs on est étonné de ne pas voir plus de monde dans un pays où chaque habitant est censé être fanatique du ballon rond. Toutes les tables semblent cependant réservées pour la soirée. Y aurait-il un autre match plus important à venir ? On nous répond qu’il s’agit de réservations pour voir entre amis et sur grand écran le dernier épisode de Game of Thrones. On est un peu surpris par cette « évènementialisation » d’une série télévisée mais on aime bien le concept de partager le tant attendu épisode en société, dans un lieu public, plutôt que seul dans son canapé. Du coup on rentre vite avant que l’épisode ne commence et ne nous révèle l’intrigue.
Le programme de la soirée est tout trouvé ! Après trois belles journées à explorer la capitale argentine, on s’installe confortablement dans le canapé pour regarder la fameuse série et on se dit qu’à Buenos Aires, la vie pourrait nous plaire.