Potosi, 4070 mètres d’altitude, des rues en pente qu’on arpente le souffle court, des bus de ville qui crachent une fumée noire et des personnes déguisées en zèbres pour faire traverser la rue. Le décor est planté.

Un premier tour de la ville nous permet d’en découvrir les richesses, et on ne croit pas si bien dire. Fondée en 1545 par les espagnols pour exploiter les filons d’argent qui parcourent le Cerro Rico, littéralement « la montagne riche » qui domine la ville, Potosi est à l’origine du monde monétisé, rien que ça. C’est d’ici que partirent des quantités phénoménales d’argent utilisées pour frapper les pièces du monde entier, financer l’Empire espagnol et signer la naissance du capitalisme moderne. D’ailleurs, le signe du dollar « $ » serait dérivé de la juxtaposition des lettres P, T, S et I de Potosi.

Enrichis par les réserves naturelles de leur colonie, les espagnols construisirent ici des bâtiments magnifiques à l’image de la façade ciselée de la tour de la Compaña de Jesus ou l’église San Francisco aux tuiles moulées à la cuisse. Le centre colonial est même inscrit sur la liste de patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987, mais le manque d’entretien des bâtiments l’a récemment placé sur la liste du patrimoine en péril.



Au XIXe siècle, l’argent se fait rare et l’exploitation de l’étain prend le dessus. La ville, plus peuplée que Londres ou Paris à l’époque, entame alors un déclin irrémédiable. Aujourd’hui, si une compagnie américaine exploite toujours les ressources du Cerro Rico, la majorité des tunnels qui érodent la montagne est exploitée par des mineurs indépendants regroupés en coopérative. C’est ce que l’on apprend au cours de la visite d’une mine encore en activité.
La visite est artisanale (bienvenue en Bolivie). Betto, un ancien mineur sera notre guide. Ses yeux rougis et ses propos pas toujours facile à suivre traduisent une existence difficile. La visite commence au marché des mineurs dans le quartier indigène. Ici les étals proposent en libre accès des feuilles de coca séchées, un énergisant et un remède au mal des montagnes que tout le monde chique à longueur de journée (on est tout de même à plus 4000m d’altitude), de l’alcool à 96°C pour se donner du courage et des bâtons de dynamite pour ouvrir les filons. On est d’ailleurs fortement encouragés à acheter tout ça pour en faire cadeau aux mineurs que l’on croiserait dans la mine, une sorte de péage et moindre contribution de la part d’occidentaux.

Vêtus de bleu de travail, casqués et masqués, on visite ensuite une usine de transformation des minerais d’argent, étain, zinc et plomb. L’usine ne fonctionne pas aujourd’hui mais le tour de l’atelier permet de se rendre compte des conditions sommaires de travail et surtout de sécurité… et ce n’est que le début !

Une fois sur le Cerro Rico, on s’enfonce dans un tunnel que cinq mineurs sont en train d’étayer. Échange de provisions mais pas de mots. On avance dans le boyau, tantôt courbés, tantôt droits, nos frontales éclairant de profonds puits sur les côtés et les galeries supérieures. La montagne est un vrai gruyère et d’apprendre que les mineurs sont formés directement sur le terrain ne rassurent pas nos esprits d’ingénieurs. Pourvu qu’il n’y ait pas de débutants aujourd’hui.

Dans un coin, on apporte nos respects au Tio de la mine, une sorte de statue de diable auquel les mineurs se confient, offrent cigarettes, feuilles de coca et alcool en échange de sa protection. C’est aussi l’opportunité de s’en griller une petite et de se rincer le gosier (ou plutôt de se désinfecter car l’alcool est à plus de 90°… mais comment font-ils ?). On est assis là à écouter Betto raconter sa vie de famille lorsque onze coups de dynamite font vibrer la terre sous nos fesses. On ne fait franchement pas les malins et on est plutôt soulagés de retrouver la luminosité extérieure à la fin de cette exploration souterraine.


L’après-midi, la visite de la Casa Moneda, la Maison de la Monnaie, vient compléter le tour dans la mine. On apprend que des esclaves étaient à l’origine envoyés dans les mines. Aujourd’hui, les mineurs revendiquent leur statut d’indépendant et gagnent généralement plus que le salaire moyen. On découvre aussi la Vierge Potosine, figure syncrétique qui servit dans la conversion des indigènes locaux en reprenant des symboles tels que la lune (la mère), le soleil (Dieu le père) symbolisé par l’auréole et la montagne (la terre des hommes) astucieusement intégrée dans l’ample robe de la Vierge.



Alors que l’on s’informe sur les bus reliant Potosi à Sucre, le guichetier nous explique qu’une grève est annoncée pour le lendemain, en réaction à l’exploitation programmée du lithium d’Uyuni par des entreprises chinoises. Comme toute grève, fréquentes en Bolivie, on sait quand elles commencent mais on n’est jamais sûr de quand elles finissent. Et à Potosi, il n’est pas rare que les mineurs s’opposent aux forces de l’ordre en leur jetant quelques bâtons de dynamite allumés. Sur la base de ces informations, on décide de partir avec le premier bus du matin avant que tout ne s’arrête et que le conflit ne commence.
A 6h00 du matin, la station de bus est vide. Mickaël et Camille ont raté leur réveil. On se donne donc rendez-vous à Sucre pour plus tard, par texto, si la grève ne les retient pas à Potosi. Le bus est ponctuel mais une course de vélos nous bloque pendant deux heures à 30km de l’arrivée. On a alors tout loisir d’observer le flegme des Boliviens qui patientent, tranquillement installés au bord de la route, tandis que le peloton passe.

1200 mètres plus bas que Potosi, la capitale constitutionnelle de la Bolivie présente des températures plus agréables que sa voisine et on s’y sent de suite bien. Le marché central est un vrai bonheur. Installé au milieu de bâtiments coloniaux d’un blanc éclatant, on y trouve de tout. A l’entrée, on fait le plein de produits secs, riz, farine et pâtes. Puis s’alignent les étals de légumes et de boucherie plus fournis les uns que les autres. Au fond, les kiosques à jus se tirent la bourre.



L’étage est rempli de gargotes où l’on mange un déjeuner complet pour moins de 2€. On apprécie énormément la volonté de mettre de l’équilibre dans l’assiette : une grosse saucisse et du riz ? Oui, mais avec de la salade verte, des tomates et quelques oignons.

Pour notre première matinée à Sucre on se casse les dents sur les portes fermées de la Casa de la Libertad, musée renfermant les clés de l’Histoire bolivienne. On se rabat donc sur le petit musée de l’ethnographie et du folklore qui nous présente quelques coutumes de la société bolivienne et notamment celle de l’Ekeko, une figurine souriante et bedonnante que l’on charge de reproductions miniatures de ce que l’on souhaite, argent, denrées alimentaires, voiture… En lui offrant de l’alcool, des cigarettes et des feuilles de coca, l’Ekeko apporterait prospérité et réaliserait nos souhaits de possession, sorte de Taoïsme à la sauce sud-américaine.


Plus loin, on pénètre dans l’excellent musée ASUR pour un voyage chez les jalq’a et les yamparas, deux des nombreuses ethnies du pays, à travers leurs danses et leurs incroyables tissages. On reste sans voix devant les tissages des femmes jalq’a réalisés sans modèle et représentant des khurus, sorte de monstres imaginaires, entremêlées les uns aux autres. Mais ici le tissage n’est pas l’apanage des femmes et les hommes jouent aussi avec brio de la navette et du métier. Si elles représentent toujours des démons, leurs créations sont plus réalistes.

Des démons à Dieu il n’y a qu’un pas qu’on franchit prestement en se rendant de l’autre côté de la place au monastère Recoleta. On se joint à la dernière visite et on ressent que la guide a hâte de finir sa journée ! On ne sait pas vraiment combien de moines peuplent encore les lieux mais ils peuvent jouir de magnifiques espaces, d’une sacrée pinacothèque regroupant peintures et sculptures religieuses bien sûr, mais aussi de beaux artefacts récupérés lors de mission en Amazonie (photos interdites malheureusement). Un énorme cèdre millénaire vient clôturer la visite et Dieu seul sait comment cet arbre est convoité ici pour la confection de retables et autres sièges d’église.



Le soir on retrouve Camille et Mickaël au théâtre pour trois heures de danses typiquement boliviennes. Les danseuses dont les cheveux tressés arrivent aux fesses virevoltent au rythme de la cueca et de la saya caporal alors que les danseurs s’affrontent dans un tinku.
Les mystères de Sucre et de l’indépendance bolivienne nous sont révélés juste avant de quitter la ville avec la visite de la casa de la Libertad où fut signée la déclaration d’indépendance du pays.

Tout s’éclaire, du nom de Bolivie, hommage à Simon Bolivar, le libérateur du pays entre autres pays sud-américains, au nom de la ville, Sucre, hommage au maréchal Antonio José de Sucre, frère d’armes de Bolivar. On découvre aussi que depuis Evo Morales, la Bolivie est en fait l’état plurinational de Bolivie et s’est dotée d’un deuxième drapeau officiel, la croix andine multicolore, symbole de toutes les ethnies et peuples autochtones qui composent le pays.
C’est donc un peu moins bêtes que nous montons à bord du bus de nuit qui nous mène vers notre prochaine étape : la capitale administrative du pays, La Paz.
