La Bolivie – La Paz pas à pas

Il se raconte que les routes boliviennes sont parmi les plus dangereuses d’Amérique du Sud, notamment à cause de leur état de délabrement avancé et des chauffeurs qui les sillonnent, parfois alcoolisés, souvent pied au plancher, dans des véhicules rarement bien entretenus.

En ce mardi 18 juin, on décide néanmoins de répondre à l’appel des crieuses de la gare routière de Sucre et montons à bord du bus en direction de La Paz. Il est 19h30 et une nouvelle nuit sans sommeil s’annonce.

Douze heures et sept-cents kilomètres plus tard, nous débarquons fatigués mais vivants dans la gare routière de la capitale administrative la plus haute du monde, perchée à plus de 3500m d’altitude. 

Non c’est une blague, on était dans un vrai autocar, celui-ci est juste un beau bus de ville de La Paz

Cette arrivée matinale nous permet d’envisager une journée complète de visite, non sans s’être préalablement requinqués avec un bon petit-déjeuner composé de pancakes aux myrtilles et de maté de coca, au café voisin de notre auberge.

On commence par un tour à pied de la ville, guidé par un étudiant. Vous connaissez désormais notre inclination pour ce genre de visites permettant de mieux comprendre et d’apprécier les endroits traversés tout en les ancrant dans nos mémoires grâce aux anecdotes des guides souvent sympathiques.

La Basilica San Francisco arborant de surprenantes sculptures

Au départ du tour sur la grande place de la Basilique San Francisco, l’étudiant nous fait d’emblée remarquer un détail incongru sur le fronton chrétien : un bas-relief de femme accouchant s’est glissé entre les feuilles et les lianes. Il est l’œuvre des autochtones ayant participé au chantier et qui apposèrent ici leur signature syncrétique en hommage à la Pachamama. Les Espagnols les embauchèrent en effet en masse, espérant qu’un travail bien rémunéré sur un tel édifice leur ferait accepter plus facilement la nouvelle religion. Mais sitôt le chantier achevé, les locaux s’en retournèrent à leur croyance laissant alors la basilique vide au grand désarroi du clergé espagnol. Ce dernier installa donc d’immenses miroirs au niveau de l’autel et forçat les locaux aux premières messes. Ébahis devant leurs reflets, le prêtre leur expliqua qu’il s’agissait en fait de leurs âmes et qu’ils avaient tout intérêt à venir s’en occuper chaque Dimanche s’ils voulaient éviter de grands malheurs. La conversion au prix du mensonge… les voies du Seigneur sont impénétrables.

Quelques pas plus loin, nous nous arrêtons au marché des sorcières, incroyable bric-à-brac avec ses offrandes en sucre, ses poudres guérissant tous les maux et les inévitables fœtus de lama séchés qui accompagnent chaque étape de la vie d’un Bolivien. 

Quatre foetus de lama séchés pour le prix de deux !

Puis succède le marché ouvert, plus conventionnel ; l’étonnante prison San Pedro, sorte de mini-ville dans la ville régit par les criminels eux-mêmes, et la Plaza Murillo flanquée du Congrès et du Palais du Gouvernement dont l’horloge tourne à l’envers en symbole de la libération du colonialisme venu de l’hémisphère Nord. Le tour s’achève dans l’agréable « calle Jaén », bordée de maisons coloniales aux façades colorées et aux beaux balcons en bois sculpté.

Les petits pains boliviens et des ocas, tubercules traditionnels des Andes
Voyez-vous l’horloge tourner en sens inverse?

Après un petit verre de Singani, une eau-de-vie de raisin locale, on quitte le groupe de touristes et Albert, un sympathique Andorran en vadrouille avec qui on a bien papoté, pour nous engouffrer dans le musée des instruments de musique en bas de la rue Jaén. Y sont exposés quantité d’instruments de toute l’Amérique du Sud et fait de tous les matériaux imaginables : verre, boites de conserve… mais aussi tambour tortue, grelot escargot, harpe amardillo, charango quirquincho et autres flûtes de pan en plumes de condor.

On embarque pour l’après-midi à bord des iconiques cabines du téléphérique de La Paz. Du teleferico amarillo au rojo, en passant par le plateado, on découvre la ville sous un nouvel angle. Ou plutôt devrait-on dire « les » villes ? car si La Paz s’étend partout dans le canyon du fleuve Choqueyapu, dominée par l’Illimani aux neiges éternelles, elle a grignoté les parois de l’altiplano jusqu’à fusionner avec la ville d’El Alto, qui s’étend librement sur le haut plateau andin à plus de 4000 m.

Une belle fin d’après-midi
On demande à voir le Plan Local d’Urbanisme

L’urbanisme chaotique et galopant de la métropole entourée de son majestueux écrin minéral nous hypnotise. La soirée est l’occasion de partager ces impressions avec Albert autour d’un verre.

Pas mal la vue dans les transports en commun

Le lendemain nous nous éloignons de La Paz pour une journée sous le signe de l’action : la Route de la Mort nous attend ! Réservée la veille au soir, on part en excursion sur la journée accompagnés de trois guides, un groupe de quinze Paceños et un vélo par personne pour descendre cette fameuse route au funeste surnom.

Une sacrée belle route pour une sacrée journée !

Construite à flanc de montagne dans les années 30 par des prisonniers paraguayens pour rallier l’Amazonie par voie terrestre depuis La Paz, elle fut l’un des axes routiers les plus meurtriers au monde avant que le gouvernement bolivien ne construise un tronçon plus sûr.

Pas goudronnée et large de moins de trois mètres par endroit, les véhicules, bus et camions compris, s’y croisaient de jour comme de nuit, souvent dans le brouillard et sous la pluie, au bord d’un précipice vertigineux. Pour plus de sécurité, le code de la route était ici spécialement modifié : la priorité était donnée aux véhicules descendants et le sens de circulation inversé. Les conducteurs, roulant à gauche, pouvaient alors mieux juger des centimètres qui séparaient leurs roues du vide, ce qui n’empêchait pas 200 à 300 voyageurs d’y laisser leur vie chaque année.

On commence par une heure de route dans un minibus dont les enceintes crachent d’étranges remix (Niagara / Europe, Adèle / Survivor, Skrillex / Queen, … certainement pour nous motiver) jusqu’au point de départ, La Cumbre, à 4700 m d’altitude. La ligne d’arrivée se trouve 60 km plus loin et 3600 m plus bas, soit 17% de pente en moyenne. Les Boliviens de La Paz qui nous accompagnent sont en fait les paroissiens d’une même église et entament une prière avant de commencer la descente … tout va bien se passer. On n’est pas vraiment rassurés mais personne ne peut mourir aujourd’hui car c’est le jour du Corpus Christi (la Fête-Dieu) et le Saint-Esprit est sans aucun doute avec nous.

Petite photo avec tout le monde avant le départ, ça permet de verifier si il manque quelqu’un à l’arrivée
Casqués et fin prêts !! Enfin on espère …

Le préambule se fait sur un bout de route asphaltée histoire de s’habituer aux vélos et à l’équipement, en particulier les freins. Il y a pas mal de trafic en ce jour férié mais c’est déjà grisant de sentir le vent dans le casque au milieu des grands espaces.

Gisèle facile

Rapidement on rejoint l’ancienne route faite de terre et de cailloux où la circulation se résume aux vélos et à quelques voitures de touristes locaux.

Là, on y est !
Surtout rester concentré…

La route est impressionnante avec à droite la jungle, à gauche le vide, et sous les roues les pierres qui nous font tressauter tandis qu’on prend de la vitesse ; l’adrénaline monte instantanément au cerveau.

C’est parti !!

Le vélo a tendance à chasser quand on bloque la roue arrière à force de trop freiner, puis on prend peu à peu confiance et on touche de moins en moins aux manettes. Le plaisir du pilotage est là et les paysages sont grandioses, changeant drastiquement depuis la haute montagne jusqu’à la jungle luxuriante.

A droite les vélos, au milieu le bord de la route avec nous dessus, à gauche … la muerte

Loin du précipice initial et sans la peur de faire une chute fatale, la fin alterne entre plats et descentes, ce qui permet à Damien de tester ses limites en collant aux roues du guide de tête tandis que Gisèle reste sagement en queue de peloton. Une fois la ligne d’arrivée passée, c’est l’heure du bilan : zéro chute pour nous deux, quatre chutes et autant de râpés chez les Boliviens, mais au moins personne n’est tombé dans le vide ! 

L’après-midi se poursuit avec un grand buffet et un plongeon en piscine très appréciable (et très apprécié). Sur le chemin du retour, on apprend qu’il y a un mois un touriste américain est tombé dans le précipice ; fin de la lune de miel pour sa femme et fin tout court pour lui… on se dit que les Boliviens ont bien fait de prier ce matin.

Débarqués à l’hôtel après 20h, on se couche sans tarder, heureux mais éreintés par cette journée physique et riche en émotions … demain le réveil sonne à 4h00 du matin !

On retrouve Mickaël et Camille dans le hall de notre auberge. Ils viennent tout juste d’arriver à La Paz pour une journée très spéciale : nous sommes le 21 juin, jour du Nouvel An Andin et premier jour de l’hiver.

Un bus nous amène aux ruines de Tiwanaku, 70 km à l’Ouest de La Paz, pour assister à la grande cérémonie du Wilkka Kuti, la renaissance du Soleil qui cette année est présidée par … le président Evo Morales.

La foule et les dignitaires, rassemblées dans le petit matin glacial, parmi eux : Evo

Ce site archéologique classé au patrimoine mondial de l’Unesco fut la capitale de la civilisation pré-inca Tiwanaku qui dura près de 2000 ans et culmina entre les VIIIe et XIIe siècles. Aujourd’hui, le peuple Aymaras, descendant des Tiwanaku, représente encore une part importante de la population bolivienne et leur langue est parlée par près de 10% des Boliviens, en faisant la troisième langue du pays derrière l‘espagnol, 60%, et le quechua, 15%.

On arrive sur les coups des 6h00 du matin, juste à temps pour prendre place parmi la foule et assister au lever du jour dans un froid glacial. Les hauts dignitaires, dont le président, entonnent des incantations en aymara et présentent des offrandes à la Pachamama, la Terre Mère, qui va pouvoir se reposer jusqu’au retour des pluies au printemps.

Aux premiers rayons du soleil, tout le monde lève les mains au ciel, paumes tournées vers l’astre lumineux en faisant résonner d’une seule voix un son puissant proche du « Om » yogi. Puis les musiciens attrapent leurs instruments et tout le monde se met à chanter et danser sous le drapeau aux sept couleurs des peuples indigènes d’Amérique du Sud pour un moment de liesse partagé. 

Que viva el sol por el nuevo ano andino !
Tiwananaku 2019

Après le petit-déjeuner, nous assistons à la recréation de la cérémonie du matin juste pour notre groupe, comme le font les Aymaras dans leur foyer. Un homme en poncho “dresse” une table d’offrandes pour la Pachamama. Sur un plateau, il dépose de la laine de lama blanche et colorée, des pains de sucre qui représentent les souhaits pour l’année (argent, amour, voyage, maison, prêt bancaire), des sucreries (car la Terre est gourmande), des cigarettes (chacun son vice), des cotillons et … un fœtus de lama déshydraté couvert de feuilles d’argent et d’or (pour la chance bien sûr). Le tout est posé sur un bûcher et copieusement arrosé d’alcool, sans oublier d’en verser un peu par terre pour la Pachamama. 

Un folklore encore pratiqué par de nombreux Boliviens

Puis chacun sélectionne douze belles feuilles de coca, comme les douze mois de l’année, et formule un vœu pour chacune. Toutes sont ensuite jetées au feu avant, à notre tour, d’arroser le bûcher d’alcool et d’en boire une gorgée. La cérémonie s’achève par quelques mots de l’officiant tandis que nous passons nos mains au-dessus de bâtons d’encens.

Enfin, réchauffés par le soleil qui monte dans le ciel (et peut-être un peu par l’alcool bolivien) on suit le guide dans la visite du site archéologique qui inspira Hergé pour la BD « Tintin et le temple du soleil ». Tiwanaku est considéré comme le centre spirituel le plus important de la culture andine et on y découvre une variété de vestiges, temples, pyramides et monolithes aux gravures hautement symboliques : le condor pour l’air, le puma pour la terre, le poisson pour l’eau, le serpent pour la fertilité, le cœur pour l’harmonie et le ventre pour l’équilibre. 

La porte du Soleil, large de 4 mètres, haute de 3 et taillées dans un seul bloc d’andésite de 10 tonnes

On aime voir les locaux se joindre à notre groupe pour profiter des explications du guide. Et eux, comme nous, restent perplexes devant la découpe si précise des blocs de pierre de la cité qu’elle semble avoir été faite au laser.

A quoi pouvait bien ressembler la vie ici il ya 2000 ans?
Et comment ont-ils pu tailler ces blocs aussi parfaitement avec les outils de l’époque ? Mystère !

Revenus à La Paz en milieu d’après-midi, on passe le reste de la journée à faire le tour de quelques agences pour préparer la suite de l’aventure. Mais ça, ce sera pour le prochain chapitre 😉

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