L’Indonésie – Dans la jungle de Sumatra

11 Octobre 2018. Nous nous envolons loin du Népal sous un ciel d’automne couvert que seul l’Everest dépasse, comme pour un dernier au revoir à travers le hublot.

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8848 mètres c’est haut

Devant nous, Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, nous attend pour une rapide escale avant l’île de Sumatra, notre première destination en Indonésie. Nous atterrissons vers minuit à Medan, plus grande ville de l’île, et lançons pour la première fois (mais pas la dernière) l’application Grab qui nous permet de réserver un transfert vers notre hôtel. Grab c’est le Uber d’Asie, avec les mêmes défauts, notamment l’impact social, mais aussi l’avantage pour les touristes arrivant dans un pays inconnu, d’être sûr et d’éviter d’interminables négociations pour obtenir un prix correct ; et vu qu’il est présent dans toute l’Asie du Sud-Est, on pense s’en servir assez souvent. Arrivés à notre hôtel, on découvre notre chambre pour la nuit, une sorte de pièce sans fenêtre juste assez grande pour rentrer un lit double. Ce dernier est tout de même bien confortable et nous nous y endormons très vite.

Avec un mois complet devant nous, ce n’est pas moins de trois îles que nous comptons visiter en Indonésie ; à savoir Sumatra, Java et Bali. Sur un total d’environ 17 000 îles on sait qu’une vie entière ne serait pas assez pour visiter cet immense pays (le 15ème par la taille et le 4ème par sa population de 263 millions d’Indonésiens), alors on choisit de se concentrer sur les activités qui nous intéressent dans l’archipel : la plongée sous-marine, les volcans et la jungle. Ça tombe bien, à quelques heures de Medan se trouve l’une des dernières grandes zones de forêt tropicale qui n’a pas encore été défrichée au profit des plantations de palmiers à huile.

Avant d’aller y faire un tour, on flâne une journée à Medan pour récupérer un peu et faire quelques emplettes, notamment histoire de trouver une serviette microfibre en remplacement de celle perdue à l’aéroport de Katmandou.

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Une ville glamour avant tout
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Escalatorophobes s’abstenir

C’est aussi l’occasion de découvrir (et ce à notre grande surprise) les centres commerciaux de Medan, dont l’immensité, la modernité et le luxe font passer notre Cabot Circus bristolien pour une vieille galerie commerciale dépassée. On profite aussi de la journée pour visiter les quelques points d’intérêt de la ville, peu intéressante, si ce n’est pour découvrir une pratique bien particulière des jeunes du coin qui consistent à interviewer les touristes pour pratiquer leur anglais. Et on a l’impression qu’ils ne voient pas beaucoup de touristes tant on est sollicité !

On nous dit aussi « hello » dans un grand sourire à chaque coin de rue aussi et l’on se dit que c’est un peuple vraiment très accueillant, ou peut-être juste que nos têtes différentes les font marrer ; sans doute un peu des deux.

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Do you like Indonesia?
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Après l’interview filmée, la photo pour la route
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La mosquée est quand même pas mal

On file dès le lendemain vers la jungle tropicale, du côté de Bukit Lawang à trois heures de Medan, dans un taxi partagé. Le troisième passager est un jeune scientifique allemand spécialisé dans la sauvegarde des rhinocéros d’Afrique grâce aux traitements « Big Data » de données récoltées par des capteurs installés sur des antilopes et autres animaux « témoins » côtoyant les rhinocéros. C’est technique mais le sujet est intéressant surtout après avoir observé la menace qui pèse sur ces grands mammifères au cours de nos safaris en Afrique. Et puis ça rend le voyage plus rapide.

On arrive à Bukit Lawang en début d’après-midi. La ville, ou plutôt le gros village, est située en lisière de la jungle, véritable « porte d’entrée » pour randonner dans le parc national de Gunung Leuser, crée en 1973 afin de préserver la jungle et ses plus célèbres habitants : les orangs-outans !

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Bukit Lawang, entre jungle et rivière

Grâce à Clio, une fille que nous avons croisé lors de notre dernier jour à Katmandou et qui arrivait tout juste de Sumatra, nous contactons via WhatsApp un guide local avec qui elle a adoré visiter la jungle, et obtenons un trek de trois jours à la rencontre des grands singes à un prix défiant tout concurrence.

Fraichement débarqués à Bukit Lawang, nous posons nos affaires à un hôtel à 2€ la nuit que nous avons dégoté sur internet pendant le trajet, puis nous retrouvons notre guide, Ashtang, dans un bar voisin pour un briefing sur le trek autour d’une bière.

Au cours de la conversation, il nous apprend qu’une des raisons pour lesquelles les prix de l’hôtel où nous restons sont si attractifs, c’est parce que les propriétaires comptent bien vendre leurs propres treks aux clients et ainsi faire leur marge. Si les clients refusent toute activité, ils n’ont pas de remord à les mettre à la porte, même la nuit déjà tombée et même lorsque la chambre est déjà réglée comme c’est notre cas. Sacré argument de vente qu’on a du mal à croire, mais que quelques recherches sur internet confirment. Et en effet, en rentrant à l’hôtel, le personnel tente gentiment de nous vendre des services. On fait mine d’être intéressés, on leur dit qu’on va rester plusieurs jours dans le coin, qu’on va se reposer d’abord, et que sans doute demain on décidera quel tour on veut faire avec eux, puis on va dans le restaurant d’à côté goûter notre premier nasi goreng, une sorte de riz frit savoureux qui fait office de plat de base pour les indonésiens, tout en papotant avec le couple de suisses-allemands de la tablée voisine. On rentre se coucher pour une bonne nuit de sommeil avant de partir en catimini au petit matin, direction la jungle de Sumatra !

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La forêt tropicale, superbe et menacée

Pour notre premier jour de trek on retrouve Ashtang, un guide jeune, bien déjanté et vraiment marrant mais qui ne fera pas de vieux os vu le nombre de cigarettes qu’il se fume chaque jour. On retrouve aussi Tina et Stefan, les deux suisses-allemands avec qui nous avons taillé le bout de gras au dîner la veille. Avec leur guide, ils font un trek de seulement deux jours qui correspond aux mêmes deux premiers jours que nous, on va donc faire un bout de route ensemble. Ça tombe bien, on se disait la veille qu’ils étaient bien sympas !

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Ashtang tout sourire à droite, les deux géants suisse-allemands, leur guide et nous

La marche démarre et on s’enfonce dans une jungle impressionnante tout en croisant de temps à autre ses habitants : un groupe de macaque crabiers avec un bébé, un semnopithèque de Thomas très peu impressionné par les touristes, et une maman orang-outan avec son petit haut perchés dans la canopée.

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Maman macaque et bébé macaque (pas de crabe en vue)
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Appelez-moi Thomas
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Maman orang et bébé outan

Ashtang explique que le parc abrite des orangs-outans sauvages ainsi que des « semi-sauvages ». Ces derniers ont pour la plupart été capturés lorsqu’ils étaient bébés afin de servir d’animal de compagnie. Un programme œuvrant à leur récupération et leur réhabilitation à la vie sauvage a permis d’en remettre un bon nombre en liberté, le dernier ayant été réintroduit dans la jungle il y a près de 10 ans. Cela fait si longtemps qu’ils sont donc aujourd’hui considérés « semi-sauvage ». La principale différence avec leurs compères sauvages est qu’ils sont bien moins timides envers les humains et beaucoup n’hésitent pas à s’approcher afin d’obtenir des fruits, réminiscences de leurs interactions passées avec l’Homme.

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La jungle abrite aussi (surtout) des petites créatures
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Des abeilles noires en plein chantier

On arrive au premier camp vers 15h. On a le temps de se rafraichir dans la rivière qui le longe, de se sécher et de goûter avant qu’un orage éclate vers 17h. On prend un diner étonnamment bon, vu les conditions sommaires, que l’on partage avec les guides et le cuisinier, Samso. On passe enfin une bonne petite soirée à l’abri de la pluie sous les bâches du camp, à jouer aux cartes avec les suisses-allemands et Ashtang qui s’avère être un excellent tricheur et un “magicien” hors pair.

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On sèche avec un thé et des biscuits
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Hôtel « De La Jungle » 3 étoiles à l’architecture futuriste « bâche-plastique »
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Repas de roi à la chandelle !

La deuxième journée est à l’image de la première avec beaucoup de marche (qui vire parfois à l’escalade) à travers un terrain accidenté au cœur de la jungle grouillante de bestioles, dans la boue et la chaleur moite des tropiques.

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La reine de la jungle

Tina, Stefan et leur guide nous disent au revoir à la mi-journée et rentrent sur Bukit Lawang. On continue le trek et on croise plusieurs animaux dont deux varans, un gibbon noir et surtout Mina, accompagnée de son petit et d’une autre femelle orang-outan avec son petit elle aussi.

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Dialogue de varans
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Un gibbon noir bien curieux
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Rien ne sert de jouer à « chat-perché » contre lui
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Mina, nous défie
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Le bébé de Mina, nous observe
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Mina obtient toujours ce qu’elle veut

Mina est la plus célèbre des orangs-outans réintroduits ici car elle s’approche très près des humains et se révèle souvent agressive pour obtenir à manger. C’est d’ailleurs la seule qui obtient encore des fruits de la part des guides car elle peut vraiment s’avérer dangereuse en cas de refus. En règle générale les guides limitent les interactions au maximum pour laisser ces primates redevenir aussi “sauvage” que possible mais dans le cas de Mina, il vaut mieux sacrifier une banane que de perdre un bout de chair.

En tout cas, une rencontre de près avec ces êtres si proches de nous est inoubliable. Leur gestuelle, les mimiques, les traits de leurs visages sont captivants… et leurs regards ! Les ressemblances avec l’humain sont telles qu’il est impossible de ne voir en eux qu’un animal. On est habité par la sensation bizarre et formidable d’avoir rencontré quelqu’un… au-delà des frontières de notre humanité. Et en même temps, conscients du danger critique d’extinctions qui les menace, la fascination des premiers instants se mêle vite à un sentiment étrange de compassion teinté de tristesse.

Laissant Mina et sa famille derrière nous, on arrive au deuxième camp en fin d’après-midi. La baignade est une nouvelle fois un plaisir après cette journée passée à transpirer. Encore un bon diner, et c’est reparti pour une nuit d’aventuriers entourés des murmures de la jungle.

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Camp numero 2

Au troisième jour, un petit groupe de macaques crabiers passent devant notre camp alors que l’on s’éveille. La marche reprend, on aperçoit un nouveau semnopithèque de Thomas, quelques macaques à queue de cochon, un calao, des colonies de termites impressionnantes, et puis c’est LA rencontre du jour : sortie du couvert de la jungle, sans crier gare et marchant droit vers nous, Jacky se retrouve en un instant à quelques mètres seulement de nous !

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On t’as vu Thomas !
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Un gros Calao
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Jacky

Jacky est une femelle orang-outan retournée à la vie sauvage il y a plus de 10 ans et connue pour être assez discrète et gentille. Aujourd’hui cependant elle a décidé qu’elle voulait des fruits et agrippe Gisèle au poignet sans crier gare. Elle le tiendra fermement pendant plus d’une demi-heure, l’occasion de partager un moment privilégié, même si pas vraiment choisi, et de voir défiler les sentiments sur son visage. De la curiosité, du mécontentement, de l’ennui, et aussi de la tristesse à travers un regard touchant qu’on dirait empli de mélancolie.

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Ca rigole au début, après ça devient un peu long

Mais comme il nous faut rentrer aujourd’hui, il s’agit de s’activer pour relâcher l’étreinte. On réalise alors la force de l’animal quand, avec toute sa force, Damien n’arrive même pas à lui faire décoller un doigt. Ashtang use de plusieurs subterfuges jusqu’à ce que, finalement, Jacky ne renonce et disparaisse à nouveau dans la jungle.

Entre temps, taquine, elle a mordillé la main de Gisèle pour signifier qu’elle avait faim. Manque de chance, une de ses dents, vraiment acérées, a coupé un petit bout de peau et quelques gouttes de sang ont coulé… Ashtang a beau nous dire que ce n’est pas grave en nous montrant ses nombreuses cicatrices (principalement l’œuvre de Mina), nous sommes un peu moins sereins, ne sachant pas si ces animaux, plus suivis médicalement depuis longtemps, ne sont pas porteurs de la rage ; et on se dit que l’on rentrera sur Medan dès la fin du trek afin de voir un médecin et réaliser les injections supplémentaires du vaccin antirabique si nécessaire.

Le retour sur Bukit Lawang se fait en « tubing », une sorte de raft bricolé avec plusieurs grosses chambres à air ; bien marrant mais pas si facile à manœuvrer, comme nous le démontre le cuisinier Samso en passant par-dessus bord dans les rapides.

Pas le temps de profiter de l’ambiance décontractée de Bukit Lawang, qu’il nous faut attraper un bus local pour Medan. Pendant le trajet, on sélectionne le Colombia Asia Hospital pour obtenir un avis médical sur la micro-morsure au doigt de Gisèle. L’hôpital est ultra-moderne et le médecin nous confirme qu’il ne faut prendre aucun risque, sort la seringue de Verorab et la plante dans le bras de Gisèle. Ouf, il n’y a plus qu’une deuxième injection à faire trois jours plus tard et les esprits seront rassérénés. L’hôpital nous confirme que des doses de Verorab sont bien disponibles dans le nord de Sumatra où nous comptons nous rendre dès le lendemain.

Rassurés nous rentrons dormir dans l’hôtel aux chambres sans fenêtre de notre arrivée où nous nous endormons vite après toutes les émotions de la journée.  Demain, c’est avec des animaux plus aquatiques que nous avons rendez-vous sur l’île de Pulau Weh.

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