Le Chili – Trek W, Partie 1

On quitte le plancher mouvant de l’Evangelista pour la terre ferme de Puerto Natales. Il y a un sentiment étrange à retrouver la civilisation. Les maisons remplacent les fjords et les voitures, les otaries qu’on avait pris l’habitude d’apercevoir par les hublots. Une douce nostalgie nous fait sourire. Damien imagine déjà une nouvelle aventure maritime : pourquoi pas la traversée de l’Atlantique en voilier-stop pour rentrer en France, rien que ça ?

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Puerto Natales, une ville à première vue pas très excitante

La nuit tombe vite et c’est dans une ville presque déserte que l’on fait nos premiers pas en Patagonie. On se dirige vers l’auberge Erratic Rock, donnée comme référence sur internet pour la location de matériel de camping et les informations relatives au trek W.

On se retrouve dans une situation un peu particulière en fait, car si on a beaucoup lu sur le trek, on n’a pour l’instant rien eu le temps de préparer compte-tenu de l’incertitude de notre date d’arrivée à Puerto Natales. Et avec la fermeture hivernale du parc dans une semaine, le temps presse !

Le trek W constitue la partie Sud d’une boucle plus complète au cœur du parc national Torres del Paine, un écrin sauvage de glaciers, de steppes et de montagnes où évoluent guanacos, pumas et condors. Il tient son nom de la forme qu’il revêt lorsque l’on relie les différents points d’intérêts et étapes sur une carte. Avec ses quelques 80 km, il faut normalement 4 ou 5 jours pour le réaliser, à condition bien sûr que la météo l’autorise. La neige, le froid glacial et des vents extrêmes rendent souvent l’expérience sinon impossible, du moins épuisante et pas du tout agréable.

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On comprend mieux le nom du trek une fois tracé sur une carte

C’est avec des questions sur l’organisation, la météo et le matériel nécessaire que l’on pousse la porte de l’Erratic Rock. Suivant leurs réponses et les prix qu’on saura négocier (car oui, si le voyage nous a appris une chose c’est que tout se négocie), on passera peut-être aussi la nuit chez eux.

On est accueilli par un gros américain bourru qui nous adresse à peine un holà de derrière sa moustache. Lorsqu’on lui demande conseil sur comment s’organiser, il évince la question par un « assistez à la conférence donnée par l’auberge demain » et quand on lui demande ce qu’il pense de la météo, il répond « de toute façon maintenant que vous êtes là, vous n’allez pas ne pas y aller » (alors en fait si… si les prévisions sont exécrables on se bornera peut-être juste à une journée pour voir le point d’orgues du trek, les Torres).

Son attitude je m’en-foutiste et surtout « je m’en-fous de vous » s’accentue au fil des questions et Gisèle a du mal à conserver son sang-froid. L’homme est tellement peu serviable que lorsqu’on le questionne sur le matériel qu’il loue, il nous indique qu’il y a des dizaines d’autres magasins dans la rue. Merci et au-revoir. Ni une, ni deux, on prend la porte et on se dirige vers ces autres magasins qui nous prendrons certainement de moins haut.

On repère notamment l’auberge Hostal Gemini située non loin et qui propose matériel de camping et logis. Bingo ! Le lieu est familial et le mari plein de bons conseils. Cerise sur le gâteau, la location de matériel est plus raisonnable qu’à l’Erratic Rock et on a même droit à quelques trucs gratuits. Gâteau sur la cerise, on peut laisser toutes nos affaires superflues gratuitement à l’auberge pour marcher plus léger.

On s’installe dans notre chambre, rassérénés, mais il y a encore du pain sur la planche si on décide de commencer le trek dès le lendemain. Un rapide coup d’œil à la météo (qui a l’air correcte) et on arrête de tergiverser : on réserve les campings dont la disponibilité façonne très vite nos étapes. On évoluera d’Ouest en Est, sur 5 jours, en commençant par le glacier Grey et en finissant par les fameuses Torres. On règle notre réveil à 6h du matin afin de ne pas manquer le premier bus pour le parc et on file acheter ce qui nous manque. Riz, porridge, soupes lyophilisées, lait en poudre… il nous faut de l’énergie et du léger ; pour le goût, on repassera. Le début de nuit est occupé à préparer les sacs, mettre de côté le superflu, répartir le poids… Demain, on s’élance pour notre premier trek en autonomie avec 16kg sur le dos de Damien et 12kg sur celui de Gisèle !

Jour 1 – 11 km

La première étape de la journée consiste à attraper le bus puis le catamaran pour rejoindre la partie Ouest du parc.

On n’est pas les seuls à 7h30 à monter à bord des premiers bus au départ de Puerto Natales, mais en cette fin de saison, il y a de la place pour tout le monde. Dehors il fait encore noir. On finit notre nuit sans remord et on se réveille avec le petit jour, filant à travers la pampa qui borde le parc. On aperçoit déjà quelques guanacos qui galopent dans la belle lumière du matin.

Au poste d’entrée du parc, les trois majestueuses Torres nous accueillent, toutes roses sur un ciel bleu pastel. On est déjà conquis et on s’estime extrêmement chanceux car on sait qu’une vue dégagée comme cela est vraiment rare.

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Une vue qu’on n’est pas sûrs d’avoir dans quatre jours

Une fois les droits d’entrée acquittés, les randonneurs se scindent en deux groupes. Ceux-là rejoignent directement les Torres; ces autres, dont on fait partie, traversent le lac Péhoé pour commencer le trek côté Ouest.

Sur le bateau, on n’hésite pas une seconde à rejoindre le pont pour admirer les paysages qui nous entourent.

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Le Cerro Paine Grande et la Cordillera Paine, magnifiques sous un soleil éclatant

Quand on commence à marcher il est déjà midi. Heureusement que l’étape du jour est courte avec seulement une dizaine de kilomètres.

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Jour radieux, randonneuse radieuse

Nos sacs ne sont pas un fardeau même si l’on ressent bien le chargement lorsque l’on s’engage dans quelques raides passages. Au sommet de l’un d’eux, le glacier Grey déroule sa langue bleutée… on ne peut que marquer la pause !

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Tout petit Damien dans un décor grandiose, le glacier en toile de fond

Arrivés à notre premier camp peu avant 16h00, on déplie la tente et les sacs de couchage prêts pour le soir puis on va passer cette belle fin d’après-midi à observer le glacier, seuls au monde.

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En cette fin d’automne austral, le temps est magnifique, on n’en revient pas !

Posés dans ce cadre exceptionnel, on prépare la journée du lendemain lorsqu’on entend trois voix françaises derrière nous. Ce sont Agathe et Franck, couple de parisiens en long voyage, et Julien, un ami venu les rejoindre en vacances. Entre voyageurs, la connexion s’établit instantanément et nous partageons nos expériences et notre émerveillement.

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Le glacier Grey et ses icebergs
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Vous prendrez bien quelques glaçons dans votre verre ?
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Pour vous donner une idée de la taille des blocs

La température tombe vite une fois le soleil couché. Heureusement, le camp est équipé de douches chaudes et d’une cuisine à l’abri. On dîne à côté de Steeve, un pompier volontaire québécois en vacances avec sa fille Jade. On partage nos itinéraires et notre préparation (eux aussi commencent le trek), et on se rend compte qu’on marche plutôt légers car eux portent en moyenne 3kg de plus que nous… chacun !

Jour 2 – 27 km

Le réveil sonne alors qu’il fait encore nuit noire. L’étape du jour est de se rendre au camp Frances situé à 20 km mais avant ça on souhaite profiter un peu plus du superbe glacier Grey. Frontales vissées sur la tête, on se rend donc dans le matin sombre et frisquet à un point de vue au plus près du front de glace, à quelques 3 km du camp.

Nous sommes de nouveau enveloppés d’une solitude grisante et contemplons la nature qui se réveille doucement à mesure que le glacier s’habille de rose. Une magnifique journée s’annonce déjà.

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Comment bien commencer la journée

Les petits nuages qui accompagnent chacun de nos souffles illustrent bien le froid qui nous entoure mais pas autant que les cristaux qui recouvrent la tente à notre retour au camp. Remballer le matériel s’avère une épreuve. Nos doigts engourdis par le froid refusent de se plier et la peau brûle à la moindre friction. La chaleur des tasses de café du petit-déjeuner est un plaisir réconfortant qu’on ne boude pas.

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La tente est toute givrée

A 11h, on lève le camp. La première partie du chemin n’est ni plus ni moins celle parcourue la veille, mais on se plait à découvrir les paysages sous un nouvel angle. A mesure que l’on s’éloigne du glacier, des visages nous sourient de plus en plus fréquemment : ce sont des passagers de l’Evangelista qui commencent leur trek.

A 14h30, on est de retour au camp Paine Grande où nous a déposé le bateau la veille. On a alors fait la moitié du chemin et on s’offre une pause le temps d’engloutir nos sandwichs et de faire sécher nos T-shirts au soleil.

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A la croisée des chemins

Autour du camp, les arbres se dressent, blancs et décharnés ; ce sont les témoins d’un incendie dramatique qui réduisit en fumée 17 600 hectares de forêt fin 2011… tout ça à cause d’un touriste qui a brûlé son papier toilette après une commission sauvage🤦

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Des paysages magnifiques mais une forêt dévastée

C’est dans ce paysage fantomatique que l’on progresse. Des lacs viennent ponctuer le paysage alors que la barrière bicolore des Cuernos del Paine se dressent impassible devant nous.

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Le prochain camp se trouve à proximité de ces géants

Les sacs endolorissent nos épaules au fil des kilomètres. Sur la fin, on avance au mental et à renfort de noix pour apporter un minimum d’énergie à nos corps épuisés. Il est 18h quand on pose enfin nos paquetages au camp, la journée fut belle… mais longue.

A l’accueil, le personnel du camp nous conseille de leur laisser notre nourriture afin de la sécuriser dans une boite métallique. Les rats, qui se sont gavés toute la saison grâce aux déchets des touristes, pullulent désormais. Et le froid venu, ils se jettent sur tout ce qu’ils trouvent : flocons d’avoine, dentifrice mais aussi tentes et sacs plastiques !

Le camp s’éparpille dans un sous-bois en pente où des plateformes en bois permettent de maintenir les tentes droites et isolées du sol froid.

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Installés comme des rois

A notre plateforme, nous retrouvons l’accent joyeux de Steeve et Jade, nos voisins ! On se raconte nos journées respectives, unanimes sur la beauté des lieux et la fatigue des corps. Une douche, un dîner et au lit. Ce soir pas besoin d’histoire pour s’endormir.

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Riz à la soupe d’asperges, salé avec du parmesan généreusement fourni par des voisins

2 réflexions sur “Le Chili – Trek W, Partie 1

  1. Le petit Damien des glaciers se transformera t’il en grand marin de l’Atlantique? 🙂 Belle expérience du bivouac, de ses grands repas avec au menu riz et porridge avec lait en poudre et la joie de démonter sa tente avec des doigts rouges transformés en baguettes de bois! 🙂

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    1. Hahah! Seul l’avenir nous le dira! Damien, futur loup de mer? C’est vrai que vous avez dû connaitre les repliages de tente les doigts gelés et les repas à base de riz vous aussi ! Le porridge au petit-déj’, c’est la base pour les randonneurs! Un peu comme les noodle pots quand tu as un budget à tenir mais qu’il faut bien que tu te nourrisses ^^

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