De retour sur Salta vers 16h, on embrasse Julien et Nolwenn, heureux d’avoir pu se recroiser l’espace d’une semaine au milieu de nos périples respectifs. Rendez-vous est pris sur Montreuil d’ici un an ou deux, autour d’une bouteille de vin que Nolwenn aura soigneusement sélectionnée, elle qui compte se reconvertir dans l’œnologie.

Le temps de modifier le contrat de la voiture de location et nous redémarrons aussitôt pour ne pas arriver trop tard à Tilcara, notre prochaine étape, 200 km plus au Nord dans la province de Jujuy.

Suivant les conseils avisés de Nolwenn et Julien qui ont fait cette boucle Nord avant que nous ne débarquions d’Iguazu, nous évitons l’itinéraire le plus court proposé par Maps.me. Il s’agit en fait d’une route de montagne sinueuse, étroite et mal entretenue, qui leur a pris cinq heures à parcourir au lieu des deux heures et demie annoncées. On opte donc pour l’itinéraire plus fréquenté et asphalté, ce qui ne nous empêche pas de finir le trajet dans la nuit et le brouillard.
La voiture garée et les sacs posés à l’auberge de jeunesse dégottée pour la nuit, nous allons remplir nos estomacs dans l’un des restaurants de cette petite ville. La Peña de Carlitos nous mijote des plats locaux tels que l’escabèche de lama ou le guiso de lentilles, servis dans une atmosphère conviviale.
Et comme nous sommes samedi soir, le groupe du coin vient soudain électriser la salle : place au Grupo Chalas ! La musique et les instruments traditionnels sont à l’honneur, en particulier la flûte de pan sous toutes ses tailles. Les rythmes endiablés emportent le public qui se met à taper des mains et à danser.
Au sortir de la peña, la liesse continue dans les rues avec les concerts organisés par chacun des candidats aux imminentes élections municipales. On profite un peu de cette ambiance de kermesse mais la fatigue de la journée et les hommes avinés nous ramènent vite vers l’auberge.
Un peu comme Quilmes, Tilcara abrite les ruines d’une pucara, vieille forteresse érigée au Xe siècle par les indiens Omaguacas. Le prix d’entrée trois fois supérieur à celui indiqué par notre guide, nous détourne cependant de la visite et on lui préfère la colline voisine que l’on grimpe gratuitement pour une vue panoramique sur Tilcara et … sa pucara !


Bien oxygénés après cette balade matinale, nous quittons Tilcara en direction du Nord et nous arrêtons à peine trente kilomètres plus loin dans la bourgade d’Uquia. En son centre se dresse une église singulière par sa charpente en bois de cactus et ses grands tableaux d’archanges arquebusiers. A l’arrière, le beau cimetière est le point de départ d’une randonnée dans la Quebrada de las Señoritas, un canyon haut en couleur.

Il est encore tôt mais le soleil nous darde déjà de ses rayons et le mercure monte. On suit le lit asséché d’une rivière, entourés par d’immenses roches d’un rouge vibrant. Le chemin, balisé par des rubans noués dans les buissons, n’est pas des plus faciles à suivre et on se perd quelque peu.

Au bout, les pics tout en dégradé de pourpre et d’orange des Señoritas se découpent sur le ciel d’un bleu intense.

Un couple de randonneurs nous a rejoint entre temps. Les entendant parler français, on se dit qu’on a beau se plaindre, on est tout de même privilégié en France d’être autant en mesure de voyager hors de nos frontières (les Français sont la nationalité de touristes que l’on croise le plus souvent, avec les Allemands). On fait la connaissance de Mickaël et Camille. Au vu de l’appareil que Mickaël porte autour du cou, la discussion s’engage vite sur la photographie dont le panorama qui nous fait face est un superbe modèle. Le bavardage se poursuit sur le chemin du retour et on réalise que nous nous rendons tous les quatre au même endroit aujourd’hui, et que nous visons la même étape dans quelques jours, l’Atacama chilien.

Pour l’heure chacun remonte dans son carrosse et on se dit à tout à l’heure à la Quebrada de Humahuaca, un des joyaux de la région inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Confiants de les retrouver, on n’échange pas de numéros de téléphone… erreur !
En bordure de la ville de Humahuaca, le bitume s’arrête et la route se transforme en une piste poussiéreuse qui monte sérieusement et que le loueur de voiture nous a interdit de prendre afin d’éviter toute surchauffe du moteur. Mais faites miroiter un trésor à un pirate, que pensez-vous qu’il va faire ? La climatisation coupée malgré la chaleur pour épargner le moteur, on roule doucement mais surement dans l’air ténu. La voiture tient bon jusqu’à atteindre les 4370 mètres d’altitude et la merveilleuse montagne aux quatorze couleurs. En face de nous se dresse une vraie palette d’artiste. Incroyable !

On continue à pied et le manque d’oxygène se fait sentir. Alors on s’assoit et on prend le temps d’imprimer sur nos rétines et dans nos mémoires les invraisemblables bandes de couleur qui ondulent sur la montagne. Brun profond, vieux rose, ocre, jaune, beige … à coup sûr, c’est la première fois de nos vies que l’on contemple un tel tableau naturel.

En redescendant sur la ville de Humahuaca on réalise qu’on n’a pas vu Camille et Mickaël. Ils se sont peut-être arrêtés en route ? Dommage, le courant était bien passé mais on n’a pas le temps de les attendre car il y a de la route cet après-midi pour rallier l’escale du soir : les Salinas Grandes.


On rejoint notre escale du soir, les Salinas Grandes, par la magnifique route 52 qui nous emmène lacet après lacet en haut du Cerro Potrerillo, à plus de 4000m d’altitude. Les montagnes tantôt rondes, tantôt acérées comme griffées par un monstre géant, dégradent des tons de vert, de violet, d’ocre et de rose, magnifiés par le soleil couchant. A leur pied, des hameaux aux maisons d’adobe se fondent parfaitement dans le paysage, leurs murs façonnés dans la terre même qui les entoure. On croise quelques bergers menant leurs bêtes au fond de la vallée et Gisèle manque de renverser une vigogne un peu imprudente au sommet du Potrerillo.

Nous arrivons enfin aux salines qui se nimbent de brumes tandis que la nuit tombe. Il est difficile de s’orienter au milieu de ces étendues désertiques mal cartographiées mais nous finissons par trouver notre refuge avant que la nuit ne tombe complètement : la Posada del Silencio à San Jose de Pozo Colorado.
C’est une adresse conseillée par Agathe et Franck qui y sont restés avant de nous retrouver à Iguazu. Seul hébergement dans les parages, la maison d’hôte nous offre le logis et le couvert. La chambre double est décorée avec goût et attenante à une salle de bain privée. Un petit chauffage permet de réchauffer le fond de l’air mais surtout quatre grosses couvertures en laine de lama jetées sur le lit nous indique que l’on passera une nuit bien au chaud alors que le froid glacial recouvre les hauts plateaux andins.
Alors qu’ils nous servent un réconfortant dîner, le couple de paysans locaux qui nous accueille révèle avoir été un peu inquiet de ne pas nous voir arriver avant la nuit. Mais nous n’avions aucun moyen de les prévenir car il n’y a aucune couverture réseau par ici.

Malgré l’altitude, nous n’éprouvons aucune difficulté pour nous endormir et rejoignons très vite les bras de Morphée. A notre réveil, le froid qui sévit à cette altitude est tel qu’il a fait geler les canalisations du système solaire thermique ! On attend que le thermomètre gagne quelques degrés en prenant un bon petit déjeuner puis on part explorer le salar.

Les Salinas Grandes étendent leur immaculée blancheur à perte de vue et on s’amuse comme des petits fous avec nos ombres qui s’étirent sur ce décor extraterrestre. On expérimente tous les jeux de perspectives photographiques, au bon souvenir d’Etosha en Namibie, tout en faisant attention à toujours garder un œil sur un semblant de piste afin de ne pas nous perdre en voiture.

Apparemment, la couche de sel qui nous supporte fait 30 cm d’épaisseur, s’étale sur plus de 12 000 hectares, soit plus que Paris, et serait d’origine volcanique et non marine. On voit le sel briller jusqu’au pied des montagnes qui bordent l’horizon.
Le soleil réchauffe nos visages engourdis par le froid alors que l’on rejoint la partie du salar exploitée par l’homme. Pour visiter les salines et aller voir l’œil du salar qui permet de belles photos en réflexion, il est obligatoire de passer par un tour guidé payant. Souhaitant visiter le salar d’Uyuni dans quelques jours, on se contente de voir les « filetes » des bassins rectangulaires d’où est extrait le sel de table, accessibles en bord de route. On n’a pas vraiment le droit d’être ici mais on profite de l’heure matinale et de la faible fréquentation pour réaliser quelques clichés.

Ici le chlorure de sodium est roi et tout est de sel : les constructions, les sculptures et les souvenirs. Enfin presque tout, la reine vigogne nous gratifie de sa délicate présence et sa curiosité permet à Damien de s’approcher pour lui tirer le portrait.



Comblés, on remonte en voiture direction Salta. La route 52 est toujours aussi belle et Pumamarca, un joli village lové dans son écrin rocheux aux tonalités multicolores, nous accueille pour le déjeuner. On en profite pour se dégourdir les jambes et faire une balade digestive jusqu’à un point de vue sur le village et la colline aux sept couleurs en arrière-plan

De retour à Salta vers 17h, on rend la voiture au loueur et retrouvons nos repères à l’hôtel Namaste pour une dernière nuit en Argentine. Le lendemain matin, un nouveau chapitre se clôt alors que nous montons à bord du bus qui doit nous mener douze heures plus tard, jusqu’au Chili voisin et son célèbre désert d’Atacama.
